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LE BEAU LAC

Ton cœur rafraîchissant est un lac de cristal,
Claire immobilité, liquide transparence,

Où les poissons pourprés, écaillés de métal,
Sont pareils à des fleurs de pourpre et de garance.

Un bois imprégnant l'air d'un parfum végétal
Développe sa riche et sombre exubérance
Sur ces bords et distille un calme oriental,
Plein de musique, plein d'extase et d'espérance.

Par les soleils cuisants, fluides profondeurs,
Votre sein ouvre ses bienfaisantes fraîcheurs
Au poète exilé des mornes Babylones.

Mais malheur à qui vient se baigner dans vos eaux Où rampent sourdement, comme deux hydres jaunes, La Débauche et la Mort, qui mangeront ses os.

SYMBOLE

A Georges Destrée.

Voici qu'à l'horizon coule un fleuve de sang.
De sa pourpre lugubre et splendide il inonde,
Sous les cieux consternés, l'orbe muet du monde,
Où l'horreur d'un grand meurtre invisible descend

Ainsi qu'au lendemain des épiques désastres
Pour les princes vaincus on drape l'échafaud,
La nuit, sur le zénith, debout comme un héraut,
Étend l'obscurité de son deuil larmé d'astres.

Exsangue et phosphoreuse, ô tête dont la chair
A gardé la pâleur et le froid de l'épée
Lumineusement roule une lune coupée
Dans le silence noir et la terreur de l'air.

Rien ne s'anéantit. Tout ce qui fut persiste.
Les crimes d'ici-bas renaissent dans les cieux.
Ce soir, dans le palais aérien des dieux,
Hérodiade a fait décoller Jean-Baptiste.

NOCTAMBULE

Dans le quartier tapi derrière la caserne

Bat, comme un cœur peureux, le bruit d'un pas hâtif.
O nuit dans la terreur du silence attentif
L'Ange des Lâchetés ouvre son aile terne.

Quelqu'un fuit. Un danger qu'on ignore, le cerne.
Angoisse des longs murs cauteleux et plaintif
Désir d'aide! Là-bas, sur le plâtre craintif,
Cligne l'œil injecté d'une rouge lanterne.

Des cris? Non. Rien. Pas même un souffle, ou la rumeur D'un meurtre sourd, au loin, ni la chute qui meurt Sous un pont, dans le vent des ténèbres velues.

Mais voici que, tirant les soldats du sommeil,
Un clairon, dont l'appel perce les mornes rues,
Annonce la puissance et la paix du soleil.

LA PRIÈRE DU MATIN

Quand j'erre par la ville, imaginant en paix
Des buissons rougis d'azeroles,

Mon oreille à travers les murs les plus épais
Perçoit de hideuses paroles.

Tous les jours, en passant le long de cent maisons
Pareilles à toutes les autres,

J'entends, ô juste Dieu, j'entends les oraisons
Matinales des bons apôtres :

<< Seigneur, fais qu'aujourd'hui je vole avec succès «Mes voisins, les voleurs d'en face;

« Contre eux qu'au tribunal je gagne mes procès, « Quelque faux serment que je fasse.

<< Permets-moi d'extirper d'une veuve aux abois « Les deniers d'une usure infâme :

« J'en ai besoin, Seigneur, pour payer, tu le vois, << Les derniers bijoux de ma femme.

« J'ai des ennemis. Qui n'en a pas? Tu fus bien
« Vendu dans un baiser de larmes !

« Selon ton équité qu'un magistrat de bien
<< Livre mes Judas aux gendarmes.

<< Et mieux encor : s'il se peut faire sans danger, «Loin d'une police chagrine,

« Tu sais qu'il suffirait, Seigneur, pour me venger, « De quelques grammes de strychnine.

« Enfin, sur un beau corps, ni trop gras ni trop sec, « Salace à toute turpitude,

« Doux Christ! accorde-moi de forniquer avec « Plus de plaisir que d'habitude.

« Mais surtout qu'à la Bourse, au cercle, aux boulevards « Au théâtre, au billard, à table,

« On ne soupçonne rien de mes petits écarts :

« Moi, je suis un homme honorable!

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