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Dès qu'ils surent ne devoir plus compter que sur eux-mêmes, les Français se mirent résolument à l'œuvre. Comme dans la plupart des entreprises de l'époque, l'initiative privée et l'autorité royale concoururent à son élaboration, mais la pénurie où se trouvait le trésor en fit alors retomber tout le fardeau sur les bonnes villes.

Il y avait eu, lors des pourparlers avec les Danois, des commissaires envoyés par le régent pour recueillir dans les provinces les sommes nécessaires. Mais les bonnes villes avaient dû fixer entre elles la quotité pour laquelle chacune devait contribuer à l'aide réclamée par le prince et avaient établi des receveurs chargés d'en percevoir le montant dans chaque région (1), car Dom Grenier nous a conservé une quittance émanant de « sagez et honorables personnes sires Henris Descorues, maires des eswardeurs de la cyté de Tournay et sire Robert Tastelin de Abbeville, commis et députés des bonnes villes de Picardie de decha la rivière de Somme à recevoir les sommes de deniers et de florins estimés et accordés à payer par cascune des dites bonnes villes pour mettre sur le fait de mer emprins par haut et noble monsieur Jehan de Neuville, mareschal de France, pour la rédemption du Roy nostre sire. » (2).

honestement et plus profitablement avoir V conclusions: la première ravoir le roy, la II empeschier la venue du roy d'Angleterre et d'autres, car se il estoient assaillis, il ne porroient ailleurs entendre, la III que pour eux deffendre il manderoient nos ennemis qui sont au royaume de France et se mandez n'estoient si s'en retourneroient il, la Illi avoir fin de la guerre et la Ve vengence de noz ennemis. »

(1) Le Mémoire dou fait de Danemarche contient les instructions données à Guillaume de Marchieres et Alexandre Lorfèvre envoyés aux communes de la Langue d'oc pour leur demander 400.000 florins d'or. «.... Item. et que il eslisent gens qui les deniers recevront sanz ce que monsegneur ne autres de par lui s'en éntremettent. >>>

(2) Une copie de cette quittance est conservée à la Biblioth. nat.

Quelles furent ces sommes ? Nous ne connaissons que la contribution de St Quentin, c'est à elle-même qu'était délivrée la quittance que nous venons de citer, pour la somme de cinq cens deniers d'or à l'escu du quoing de nostre dit seigneur. »><

Quant au Régent, dans sa détresse, il avait pu seulement déléguer à Jean de Neuville deux mille deniers d'or que la ville de Paris et la prévôté des marchands restaient lui devoir (1).

La présence d'un Tournaisien parmi les collecteurs nous prouve que, comme le dit Jean de Venette, la Flandre ne resta point étrangère à cette expédition.

Enfin des souscriptions semblables devaient évidemment être recueillies chez les Normands, car ils « avoient prins compagnie avec les Picars d'aler en Angleterre. » Malheureusement sur ces entrefaites, le combat du Favril, fit tomber entre les mains de l'ennemi avec leur capitaine Louis de Harecourt et l'amiral de France, le Baudrain de la Heuse « les meillieurs gens d'armez de toute Normendie et les plus sages de guerre tant Françoiz que Navarroiz. » (2).

Les Picards à peu près réduits à leurs propres forces, n'en persévérèrent pas moins dans leur entreprise, mais « moult perdirent grant secours en la dicte prinse. Car bien fut alé du pais de Normendie six mille hommes armés tant gens d'armez,archiers, arbalestriers que marmeaulx, tous gens deffensables, par quoy ceulx de Picardie furent moult plus fiebles. »>

Et le chroniqueur attribue à cette circonstance l'impossibilité où l'on se trouva de tirer le roi de prison. « Maiz, ajoute-t-il,for

(Collection Moreau. Chartes et diplomes, tome 234 f 128) et porte au bas cette mention: D. Grenier. L'original est indiqué aux archives de la ville de Saint-Quentin, layette des titres communs, n° 86. Voir Pièces justif. I.

(1) Siméon Luce. Histoire de Du Guesclin, I. Pièce justific. No XXII, pp. 546-550.

(2) Chron. des quatre premiers Valois, p. 109.

tune estoit pour le temps contre le royaume et contre les Françoiz premièrement eu chief et puis es membres. »

Nous avons rencontré déjà deux fois le nom de Jean de Neuville qualifié de maréchal de France. Ce seigneur picard fut l'âme de l'expédition. Laissant les députés des bonnes villes s'occuper de subvenir aux frais qu'elle devait entraîner, il « s'entremist très curieusement d'aprester l'emprinse et le voiage ». Il chercha des navires et des hommes dans les ports de notre province et même sur les côtes de Normandie les plus voisines. La Flandre lui en fournit également. Et la ville de Paris lui envoya des gens d'armes sous la conduite de Pépin des Essards qui, comme chef plus ou moins occulte du parti du Régent dans la capitale, avait pris une grande part à l'affaire du 30 juillet 1358 qui la fit rentrer en la possession de ce prince (1). Ce contingent reçut de Jean de Neuville des vivres et un vaisseau orné de bannières aux armes de la cité parisienne (2).

En outre le Régent, non content d'avoir promis 2,000 deniers d'or pour les frais de la campagne, contribuait de tout son pouvoir à son organisation, car nous voyons Ricart de Brumare, gardien du clos des Galées et des garnisons appartenant au fait de la mer à Rouen, fournir tout ce qui lui manquait pour ce voyage å la nef Notre-Dame de Leure commandée par Jehan [Hane] et Gobelet Godefray. (3)

Mais au témoignage formel des deux chroniqueurs dont nous suivons le récit, ce fut la Picardie qui fournit le plus de combattants. On remarquait parmi eux monseigneur Moreau de Fiennes, connétable de France, et le comte de Saint-Pol. Autour d'eux se groupait une nombreuse noblesse dont les noms ne nous

(1) Froissart. V. p. XXXIII note 1.
(2) Hist. de Du Guesclin. Ibidem.
(3) Voir Pièces justif. N° II.

sont point parvenus, à l'exception de ceux du sire de Cayeux et d'un pauvre gentilhomme Guillaume daisseu qui portait son pennon. Enfin ils étaient accompagnés de nombreux bourgeois des communes picardes et d'autres gens de pied de la province.

C'étaient d'ailleurs encore des Picards qui aidaient Jean de Neuville dans ses préparatifs : Firmin Audeluye, bourgeois influent d'Amiens, et sa famille que leur profession de poissonniers de mer mettait plus à même que tous autres d'obtenir des navires chez les armateurs et patrons pêcheurs de la côte avec lesquels ils étaient continuellement en rapport. (1)

Tout fut prêt au commencement de mars 1360 au moment même où le duc de Bourgogne concluait à Guillon avec Edouard III un traité destiné à préserver son duché du pillage par l'armée anglaise.

Un grand nombre de navires et 1,500 combattants, sans compter probablement les équipages, se trouvaient rassemblés (2). Jean de

(1) Hist. de Du Guesclin. Ibidem.

Voir arch. municip, d'Amiens les différentes fonctions remplies par Fremin Audeluie. En 1352 il devient faiseur des présens et paieur « de le rente à vie.» (Reg. F.fo 4 v°).

En 1353 il est fait par le maire et les échevins l'un des deux « maieurs de banieres » des poissonniers de mer. (fo 5o. r.)

En 1357 il rentre dans la même charge. La même année il est élu cinquième échevin par les maieurs de bannières au renouvellement du corps de ville « ordené et fait pour cause de lemprisonement de sire Fremin de Coquerel maïeur. (fo 7 v®).

En 1358 il est encore échevin (fo 8 ro)

En 1359 il remplit la même fonction (fo 8 v*).

En 1360 il est maieur de bannière des poissonniers de mer.
En 1363 il redevient échevin.

Jean Audeluye est maieur de bannière des poissonniers de mer en 1358 (f 8 r et en 1361).

(2) Henri de Knyhgton (Historiæ Anglicanæ scriptores antiqui. Londini. MDCLII. F° 2622) évalue à 20,000 le chiffre des hommes ras

:

Neuville s'étant occupé du recrutement de la flotte et des troupes était mieux connu d'elles il fut choisi pour capitaine par les marins, les communes et les hommes d'armes. Cette préférence inspira une certaine jalousie au connétable et au comte de SaintPol que leur rang plus élevé dans la hiérarchie féodale et les services rendus semblaient désigner pour le commandement.

Le 14 mars (1) on mit à la voile sur la côte de Picardie et on alla débarquer dans le comté de Sussex à la Rye, petit port situé non loin de Winchelsea alors l'une des cinq grandes villes maritimes anglaises; dont son importance faisait le but véritable de l'expédition. On aborda sans rencontrer de résistance. Puis une fois à terre, les troupes rangées en bataille furent divisées en trois corps. Jean de Neuville commanda le premier où les Normands prirent place; les deux autres qui comprenaient la noblesse sans doute peu désireuse d'obéir à un simple chevalier, furent mis sous les ordres du connétable et du comte de SaintPol.

semblés par Jean de Neuville. La Chronique Normande nous parle seulement de « xv combatans » et je crois que si elle a pu rester au dessous de la vérité, elle s'en rapproche cependant beaucoup plus que le chanoine de Leycester intéressé à exagérer les forces contre lesquelles ses compatriotes ne surent se défendre. Rappelons nous d'ailleurs que la Chronique des 4 prem. Valois n'évaluait qu'à 6,000 hommes le contingent normand dont le combat du Favril avait privé l'expédition. Les Picards ne devaient évidemment pas être plus nombreux; d'ailleurs, s'ils eussent été au nombre de 20,000, ils auraient pu faire en Angleterre de bien autres ravages.

(1) Thomas Walsingham. (Francofurti, 1603. P. 173 174 ligne 10) et le 2 continuateur de Guill. de Nangis concordent sur ce point ainsi que Lingard. — Consulter sur tout le reste de l'expédition outre Henri de Knyghton et Thomas Walsingham: PolydoriVergilii Vrbinatis anglicæ historiæ libri XX. Basileæ. 1534, Liv. XIX p. 379), et Lingard hist. d'Anglet. Paris 1826. (T. V p. 136.)

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