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delà des mers un empire nouveau : Auguste se rend maître presque absolu de l'ancienne république romaine. Énée se montre par-tout humain et compatissant: Auguste, dans l'infame convention faite avec ses collègues Lépide et Antoine, pour l'abandon réciproque de leurs victimes, sacrifia lâchement son tuteur, et Cicéron, le plus ardent et le plus puissant promoteur de sa nouvelle domination. Aucun de ces traits ne se trouve dans le caractère d'Énée: de quelque côté qu'on l'envisage, tout est grandeur et générosité. Lorsqu'un courtisan d'Octave le louoit de sa ressemblance avec le guerrier troyen, sa conscience devoit démentir cette flatterie par de terribles récla

mations.

IMITATION.

On a accusé Virgile de n'être qu'un servile imitateur d'Homère. Ce qui a pu le jeter dans cette imitation fréquente, c'est que les Grecs étoient devenus en tout les modèles des Romains; mais la différence des âges et des peuples, et plus encore le génie de Virgile, ont dû donner, même aux traits imités, un caractère nouveau; et l'esprit aime à franchir la distance qu'a mise entre les mêmes idées une exécution rendue différente par tant de causes et tant

de circonstances. On se plaît à retrouver les Romains dans les Grecs, et les Grecs dans les Romains, et à distinguer ce qui appartient à chaque peuple et à chaque siècle. Dans les descriptions que le poëte latin nous fait des exploits et des temps héroïques, on reconnoît la manière d'un poëte plus moderne, habitant de la capitale du monde, formé par une cour polie, par les études qu'il avoit faites à Athènes, et par son commerce habituel avec les philosophes, alors très accrédités et très nombreux à Rome. Enfin, les amours de Didon, la descente d'Énée aux enfers, etc., etc., ont une telle supériorité sur les morceaux imités d'Homère, que Virgile n'a jamais été plus original que dans cette imitation.

SUR LES ANTIQUITÉS.

On ne peut s'étonner assez de l'espèce de mépris avec lequel M. de La Harpe a traité la partie des origines italiennes et romaines, dont le poëme de Virgile est le dépôt le plus précieux et le plus riche. Ce poëme peut être regardé comme le cicerone le plus exact et le plus intéressant pour ceux qui voyagent dans cette belle partie de l'Europe. Par-tout il a lié à l'histoire d'Énée les lieux les plus célèbres de ce pays. C'est sur le mont Caïète qu'est inhumée

sa nourrice, qui lui a donné son nom; le plus fameux trompette de son armée a donné le sien au promontoire de Misène ; un autre cap a reçu celui de Palinure, l'un de ses plus habiles pilotes, qui périt malheureusement dans la mer de Sicile. Enfin, un habitant de l'Italie pouvoit, l'Enéide à la main, parcourir cette contrée tout entière, en trouvant à chaque pas de grands souvenirs et d'illustres monuments des antiquités du Latium, des événements militaires, politiques ou religieux, et arriver de port en port, de ville en ville, presque de village en village, jusqu'à la ville impériale.

admiré

M. de La Harpe seroit-il le seul qui n'eût pas senti le charme de ce bel épisode d'Évandre, par tous les gens de lettres? Ce bon roi, parent d'Énée, et bientôt son allié, habite dans un coin de l'Italie un palais de chaume; sa musique est le chant des oiseaux perchés sur son toit; son trône est une chaise d'érable; son lit, quelques feuilles recouvertes d'une peau de lion; sa garde, deux chiens fidèles qui l'accompagnent dans ses courses. Toute la campagne qui environne sa petite ville est encore inculte et sauvage; mais c'est là que doit être un jour l'emplacement de Rome. Des troupeaux bêlent ou mugissent encore dans ces lieux agrestes; mais là doit exister un jour le Forum

romanum, théâtre de la gloire de Cicéron, où se traiteront les plus grands intérêts du peuple souverain; là sera le magnifique quartier des Carènes, couvert encore de pâturages, de buissons et de ronces, qui doivent faire place aux palais des Crassus, des Lucullus, et devenir le rendez-vous du luxe, et le siège de la magnificence de Rome. Évandre, en montrant ces lieux à Énée, n'oublie aucun de ceux qui seront un jour célébres. Il lui montre le bois d'Argiléte, la porte Carmentale, ainsi appelée du nom de la prêtresse qui avoit prophétisé les grandeurs de Rome; cette roche tarpéienne, destinée à une si terrible célébrité, et ce superbe Capitole d'où devoient partir, pour tous les royaumes du monde, la paix ou la guerre, des couronnes ou des fers. Déja les habitants du pays ne voyoient qu'avec respect cette roche fameuse et le bois qui l'environnoit; déja ils étoient persuadés qu'une divinité habitoit dans ces lieux; déja, dans leur orgueilleuse superstition, ils avoient cru voir plus d'une fois Jupiter lui-même assis sur un nuage, secouer sa redoutable égide, et faire gronder son tonnerre, qui sembloit proclamer la puissance romaine. Je doute que les Grecs aient pu trouver dans aucun passage de l'Iliade une peinture de leurs antiquités aussi intéressante pour eux

celle-ci l'étoit que pour les Romains; et, s'il s'agit de poésie, quoi de plus sublime que ces contrastes admirables entre l'état obscur .et sauvage de ces lieux, et la splendeur des pompes triomphales qui leur étoient réservées?

CARACTÈRES.

Je ne me chargerai pas de justifier le caractère d'Énée, objet de tant de critiques mal fondées et de vaines déclamations. Il suffira de citer ici l'apologie sans réplique qu'en a faite l'abbé Desfontaines : « Le caractère d'Énée est « à couvert de toute critique juste et sensée; «c'est un caractère parfait, qui allie la bonté << avec la fermeté, l'austérité avec la douceur, «la valeur avec la politique; c'est un prince << religieux, dont la valeur n'est point effré«née, qui sait triompher de ses passions, et «vaincre l'amour pour obéir au ciel et pour « se rendre digne de sa haute destinée. Il est « aussi brave que Turnus son rival, mais « d'une autre espèce de bravoure, puisqu'elle << est prudente et réfléchie, qu'elle n'est ni fé«roce ni fougueuse comme celle de son en« nemi. Dire que le héros de l'Iliade est au« dessus du héros de l'Énéide, c'est une pensée « très fausse, puisque le héros de l'Iliade est

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