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tout les indifférentes dont la présence, il ne faut pas se le dissimuler, excite toujours un peu d'émulation même parmi les plus graves d'entre vous.

La Société devait décerner, cette année, une médaille d'or de trois cents francs à l'auteur du meilleur Mémoire sur la question suivante:

Rechercher quelle a été, parmi les faits qui ont contribué à la Révolution française, l'influence de l'établissement et du séjour prolongé de la cour et du gouvernement à Versailles.

Un seul mémoire a été envoyé à votre Secrétaire-perpétuel, et la Commission chargée de l'examiner, attendu que ce travail, dont la plus grande partie est consacrée à des considérations générales sur l'histoire de France, n'avait pas assez spécialement ni assez complètement traité la question, vous a proposé dans son rapport de ne point donner de prix cette année, et ses conclusions ont été adoptées par la Société en séance réglementaire; nous aurons donc le regret de n'avoir dans cette scéance annuelle qu'un seul prix à décerner.

Celui-ci, vous en connaissez l'objet; vous savez qu'un généreux anonyme vous alloue chaque année une somme destinée à un prix de vertu. Pour celui-ci, comme pour la médaille, une seule demande vous a été adressée. Votre Commission, dans son rapport, a émis une opinion que vous avez partagée. La publicité donnée à l'annonce de ce prix n'est peut-être pas assez complète; en outre, les personnes qui ont présenté les années précédentes des demandes et qui n'ont rien obtenu, n'ont peut-être pas cru pouvoir les renouveler; c'est une erreur de leur part; si modeste que soit la récompense que vous accordez, tous ceux qui peuvent y avoir des droits peuvent et doivent les faire connaître; la Société engage donc les personnes qui sont à même de lui désigner quelques-uns de ces dévouements obscurs dont la modestie se cache trop souvent aux regards de

la bienfaisance, à les lui indiquer, et si quelques-unes d'elles voient leur protégé primé par un autre que la Société aura cru plus digne du prix qu'elle décerne, elle les supplie de ne pas abdiquer des titres qui, l'année suivante, peuvent devenir des droits.

La demande qui vous a été adressée concerne la demoiselle Marie-Françoise GARNIER. Ouvrière en linge, n'ayant d'autres ressources que son travail, travail bien peu rétribué, vous le savez tous, obligée de rester auprès de sa mère infirme, et de renoncer à aller en journée, mode de travail dont le salaire est plus élevé que celui à domicile, non seulement elle a trouvé dans son courage et dans sa résignation le moyen de supporter les privations sans nombre qu'une telle condition lui impose, mais encore elle a su doubler ces privations pour entourer sa mère des soins les plus touchants et les plus assidus.

Celle-ci, âgée de quatre-vingts ans, paralytique et tombée en enfance, n'a jamais manqué de rien; bien plus, l'ingénieuse piété filiale de mademoiselle Garnier était parvenue à lui procurer un bien-être que l'on ne trouve pas toujours dans des ménages plus aisés.

Et quand on considère que pour y parvenir, pendant sept ans la demoiselle Garnier a passé les jours et des nuits à un travail opiniâtre, interrompu seuleme..t par les soins que réclamait la malade; quand on songe qu'en récompense de toutes ses privations, de toutes ses fatigues, elle n'avait même pas l'espoir d'un mot de reconnaissance, d'une étreinte affectueuse, d'un regard de tendresse; quand on songe que tant d'abnégation et de dévouement s'adressait à une mère, il est vrai, mais à une mère dont l'intelligence, écrasée sous le poids des ans, ne comprenait plus ce qu'il y avait de touchant et de noble dans la conduite de sa fille, on ne peut se défendre d'un profond sentiment de pitié et d'admiration pour tant de douleurs auprès de tant de mérite; on ne peut s'empêcher d'oublier

qu'il s'agit ici d'une mère et d'une fille, et que le sentiment qui soutenait cette dernière dans sa pénible tâche est un sentiment naturel; les sentiments de la nature poussés à un tel degré de grandeur et d'oubli de soi-même, Messieurs, cela s'appelle de la vertu, et vous avez bien fait de décerner le prix à celle que l'on vous désignait comme digne de cette récompense. Vous avez bien fait, car elle n'a même plus la seule récompense qui la soutint dans cette aride voie qu'elle s'était tracée, la contemplation continuelle de son œuvre, le spectacle journalier du bien qu'elle faisait. La veuve Garnier n'est plus; il y a deux jours à peine qu'elle lui a été enlevée, et ce n'est pas sur le sein d'une mère qu'elle pourra déposer la médaille qu'elle va recevoir, c'est sur une tombe à peine fermée qui recouvre pour jamais l'objet de ses affections.

Mademoiselle GARNIER, appelée par le Président, reçoit de ses mains le prix que la Société lui décerne,

La parole est à M. Vatel: il entretient la Société de l'organisation et du cérémonial des fêtes révolutionnaires, à Versailles; la Fête des Vieillards, celle des Époux, celle de l'Agriculture, etc., lui fournissent tour à tour des citations curieuses et de piquantes observations; cette communication ayant été improvisée, nous regrettons de ne pouvoir la reproduire ici.

La séance est levée à dix heures.

Le Secrétaire-Perpétuel,

B. DE BALZAC.

Le Président,

PLOIX.

SOCIÉTÉ DES SCIENCES MORALES, DES LETTRES ET DES ARTS DE SEINE-ET-OISE.

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