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redescend plus lentement, remonte deux fois légèrement, retombe enfin au niveau initial. Ce graphique traduit le pouls avec une telle exactitude qu'on le voit varier avec la maladie. Il peut suffire à distinguer l'affection valvulaire du cœur ou l'anévrysme de l'artère dont un sujet est atteint (figure 1).

Avant les travaux de Marey et de Chauveau, la science n'avait pour s'instruire des mouvements du cœur que le tact,qui est « faillible », et l'ausculation, dont les interprétations sont multiples. Marey et Chauveau introduisent par la veine jugulaire et par l'artère carotide du cheval des sondes qu'ils poussent jusque dans les cavités du cœur lui-même, et l'ampoule qui termine chaque sonde inscrit par un graphique nouveau la contraction du ventricule, de l'oreillette, avec tous ses détails, sa force, son moment, sa durée, son choc, son relâchement, son repos, etc. (figure 2). Les problèmes de la mécanique du cœur, pendants depuis

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Figure 2.

Tracés simultanés de l'oreillette droite (OD), du ventricule droit (VD) et du ventricule gauche (VG), recueillis sur le Cheval.

Harvey, reçoivent une solution subite. La connaissance du mouvement cardiaque devient possible à travers la série zoologique. Un tracé très simple en donne aussitôt la figure pour chaque espèce animale.

Avant Marey, la façon selon laquelle le muscle se contracte était à peu près inconnue. Helmholtz avait seul entrepris quelques travaux sur la matière, à l'aide d'appareils insuffisants. Marey isole un muscle, qu'il pince à ses deux extrémités, et, l'excitant électriquement, il obtient un graphique de sa contraction, dans laquelle il distingue d'abord la secousse élémentaire. C'est l'addition de ces secousses, à des moments très rap

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prochés, qui produit la contraction véritable, fusion de plusieurs secousses (voir Revue des Idées, n° 3, 15 mars 1904; graphiques de la page 167) (1). Le muscle nous offre encore ici l'image parlante de sa fonction.

Enfin, nous voyions tous les jours l'homme marcher, le cheval trotter, l'oiseau, l'insecte voler, le poisson nager, le reptile ramper, sans que nous eussions jamais pris une connaissance exacte de ces mouvements. Marey, le premier, suivant en cela la pente naturelle de son génie, songea à demander à ces mouvements leur inscription graphique au fur et à mesure de leur production. Il imagina la chrono-photographie, c'està-dire la photographie, à des intervalles de temps égaux et très rapprochés, d'un objet quelconque en mouvement. Il décomposa ainsi la locomotion, établit son cycle, découvrit ses phases: il en obtint encore une fois l'image précise et continue (figures 3 et 4). Les problèmes soulevés par le groupe de ces recherches sont trop nombreux pour que nous songions ici à énumérer même les plus importants.

Figure 3. Goéland, vol transversal (25 images par seconde).

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Figure 4.

Série de figures en relief s'entrepénétrant afin de représenter les positions réelles du Goéland dans l'espace, à des instants très rapprochés d'un coup d'aile.

Ces quelques exemples suffisent à mettre en lumière la caractéristique extérieure des travaux de Marey. Ils sont essentiellement la détermination par l'image du phénomène physiologique, qui s'inscrit lui-même à tous les moments de sa durée.

(1) La Revue des Idées aura eu l'honneur de publier le dernier travail de M. Marey.

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Si l'esprit qui présida à ces travaux fut un esprit de biologiste, ce fut encore et avant tout, on ne saurait trop insister sur ce point, un esprit de mécanicien.

Il faut bien marquer, en effet, si l'on veut prendre une idée exacte de la personnalité profonde de Marey, que, en dépit de ses titres spéciaux, — ancien interne des hôpitaux (1854), docteur en médecine (1859), fondateur des premiers laboratoires de physiologie français (1864), professeur au Collège de France (1869), membre de l'Académie de médecine (1874), membre de l'Académie des sciences dans la section de médecine (en remplacement de Claude Bernard, 1878), -Marey ne fut jamais en réalité un médecin, ni même un physiologiste, dans le sens où ce terme est communément employé: il fut avant tout un ingénieur de la vie.

Sa biographie, à ce sujet, est instructive. Né à Beaune (Côte-d'Or) en 1830, il eut une première vocation d'ingénieur très marquée. Ce n'est que par soumission à la volonté de son père qu'il renonça à l'Ecole polytechnique où il se destinait et entreprit ses études médicales. L'imprécision des méthodes d'alors, l'art oratoire d'une école plus soucieuse de mots que de faits, enfin son penchant pour les phénomènes d'ordre physique et dynamique, firent que, de son aveu même, le jeune étudiant ne prit qu'un intérêt médiocre aux premiers enseignements scientifiques qu'il reçut. Il est curieux de le voir, dès 1854, à vingt-quatre ans, s'orienter dans la voie pour laquelle il était né. Du premier coup, son esprit mécanicien se saisit du domaine où ses aptitudes le poussaient. La première expérience qu'il institue est celle dont il rendait compte dernièrement ici même (Revue des Idées, 15 mars 1904, page 163), et par laquelle il réfutait, à l'aide d'un dispositif d'une simplicité réellement géniale, cette erreur accréditée en physiologie, que l'élasticité artérielle n'influe pas sur la quantité de liquide que le cœur peut débiter, pour un même effort. Les côtés chimique, clinique, médical, thérapeutique, etc., du phénomène physiologique, étaient restés sans attrait pour lui. Ce que ce phénomène comporte de mécanique l'avait conquis sur-le-champ. Presque toutes ses recherches ultérieures s'inspirent du même esprit. Mécanique du cœur, mécanique respiratoire, mécanique du muscle, mécanique de la marche, du vol, de la nage, de toutes les locomotions, - c'est toujours ce qui dans le phénomène vital touche à la cinématique, qui fixera de préférence son attention.

Marey fut ainsi le fondateur de la mécanique animale.

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Mais si typique que soit cette aptitude spéciale, elle ne le limite pas. Peu d'esprits ont eu autant de largeur, de justesse dans la pénétration, de tact dans le pressentiment de la vérité.

C'est un fait peu connu que Marey entrevit un des premiers l'impor tance des travaux de Pasteur. En 1870, à une époque où les applications de Lister étaient inconnues en France, Marey, de service dans les ambulances, où tous les amputés de la guerre étaient invariablement emportés par la septicémie, recherchait dans les éponges qui allaient servir au pansement le germe hypothétique de l'infection. Dès 1871, il écrivait dans une revue italienne un article intitulé: Une révolution en médecine, et dans lequel il faisait valoir les conséquences probables des premiers faits découverts par Pasteur. L'indication est à retenir. Elle est sans doute superflue pour qui sait qu'au-dessus d'un certain niveau il n'y a plus d'intelligences spécialisées, mais elle servira par ce fait même à situer à son rang, avec plus d'évidence encore, le grand esprit que fut Marey.

Je prendrai la liberté à ce propos de m'élever contre une tendance des admirateurs les plus dévoués du maître. Ces derniers croient avoir tout dit pour sa gloire quand ils l'ont présenté comme le créateur d'une méthode méthode graphique) qui, par son seul emploi, permet de découvrir des phénomènes. Sans doute, l'usage de cette méthode permet d'observer avec facilité un grand nombre de faits, qui, sans elle, resteraient insaisissables, et, le hasard aidant, une telle observation peut conduire. à des découvertes de la plus belle portée. En léguant à la science la méthode graphique, Marey a donc fait pour elle ce que firent autrefois Janssen et Drebbel par exemple, quand ils la dotèrent du microscope.

Mais ce serait méconnaître l'œuvre de Marey et, bien mieux, en fausser le sens, que de la réduire à la découverte d'une technique et d'attribuer ensuite à cette découverte toute la série des autres. L'œuvre de Marey est antérieure à la technique qu'il a utilisée et supérieure aux faits mis au jour par lui. Jamais Marey, du moins à ses débuts, n'a songé à créer une méthode; il l'a fondée pour ainsi dire malgré lui, par le besoin particulier de sa nature, et pour rendre palpables des phénomènes qu'il pressentait intuitivement. Une pensée supérieure le guidait. Ses travaux sur le système circulatoire ne sont pas, ce qu'on ne manque jamais de croire, une suite de recherches heureuses dans un domaine inexploré ; ils sont animés manifestement par cette idée a priori que les lois qui régissent la circulation sont des lois purement physiques et que tout se passe dans l'appareil vasculaire, au point de vue mécanique, comme cela se passerait dans un système élastique artificiel. L'idée d'élasticité domine à son tour ses autres travaux, comme il l'a si bien fait voir dans l'article magistral publié ici mème. Cette série de recherches, qui débutent par le mouvement du cœur et l'élasticité artérielle, pour se continuer par la contraction musculaire et aboutir à la traction des voitures à bras ou du matériel d'artillerie, est un exemple magnifique d'une pensée maîtresse qui se continue. C'est ainsi que Lavoisier, partant du charbon qui se consume, arrive à la découverte

de la chaleur animale, ou que Pasteur, d'une simple expérience de minéralogie, aboutit à la génération spontanée et à la genèse de la maladie. Comprenons-le avec force. Les hommes qui emploient aujourd'hui la méthode graphique à l'effet simplement de découvrir des phénomènes, ne font que manier un instrument qui, chez son auteur, procédait d'une âme plus haute. Si Marey est le fondateur d'une technique, il ne l'est que par surcroît et en quelque sorte par accident: il fut avant tout un esprit pensant. La méthode et les instruments qu'il créa ne furent que les outils chargés d'assurer et de vérifier cette pensée. RENÉ QUINTON

BIBLIOGRAPHIE DES OUVRAGES DE E.-J. MAREY:

Physiologie médicale de la circulation du sang, 1 vol. in-8, 668 pages, 235 fig. Paris, 1863, Adrien Delahaye.

Du mouvement dans les fonctions de la vie, in-8, 480 pages, 144 fig. Paris, Germer-Baillière.

La Machine animale, in-8, 300 pages, 117 fig. Paris, 1873, Germer-Baillière. Physiologie expérimentale, 4 volumes, 368, 420, 360, 452 pages, 160-194-159140 figures. Paris, Masson.

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La Circulation du sang, 1 vol. in-8, 745 pages, 383 fig. Paris, 1881, Masson. Le Vol des oiseaux, 1 vol. in-8, 394 pages, 164 fig. Paris, 1890, Masson.

Le Mouvement, 1 vol. petit in-8, 395 pages, 214 figures, 3 pl. Paris, 1894, Masson.

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