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Le milieu extérieur dans lequel vivent les animaux et les plantes est constitué par la matière et est le siège de mouvements vibratoires variés qui s'y propagent sous forme de radiations.

Le milieu matériel est constitué, ou par de l'eau contenant en dissolution des quantités variables de divers sels et de gaz, ou par de l'air, plus ou moins pur, plus ou moins raréfié; il contient plus ou moins de matières organiques.

Les diverses vibrations constituent une longue série presque ininterrompue, depuis les vibrations sonores jusqu'aux vibrations X; les radiatione calorifiques, lumineuses, accompagnées des nouveaux rayons N, influencent particulièrement la matière vivante.

a) Modification de la salinité de l'eau. On sait quelle influence a le sel sur les organismes; ici même Quinton a montré son rôle dans l'évolution (Revue des idées, p. 29).

C'est un fait devenu banal que les formes du littoral marin peuvent s'adapter facilement aux eaux saumâtres en se modifiant. Dans toutes les mares qui avoisinent le littoral et dans les estuaires, on trouve en abondance une espèce de crevette, le Palamonetes varians, qui ressemble beaucoup aux espèces marines de Palæmon; la taille est plus petite, le rostre est moins développé, les appendices buccaux sont atrophiés....... Sur les côtes d'Amérique, le Palamonetes est très abondant et présente des variations individuelles considérables, qui ont été étudiées par Johnson et Holl: dans l'eau de mer, le nombre moyen des épines portées par le rostre est constant dans les diverses localités; dans l'eau saumâtre, ce nombre diminue parallèlement à la salure de l'eau. Dans les environs d'Odessa, on rencontre des crustacés phyllopodes bien curieux au même égard : l'Artemia salina, qui vit dans des eaux moyennement salées, l'A. Milhauseni, très voisine de la précédente, qui vit dans les eaux plus concentrées; or, d'une part, Schamkevitch, en faisant vivre. l'A. salina dans des eaux de plus en plus concentrées, est parvenu à la faire se reproduire, et a obtenu des générations successives se rapprochant de plus en plus de l'A. Milhauseni : l'extrémité caudale et les anneaux de l'abdomen se sont modifiés progressivement; d'autre part, le même naturaliste, en faisant passer l'A. salina de l'eau salée dans l'eau douce, a observé, au bout de quelques générations, des caractères se rapprochant de ceux des branchipes, crustacés des eaux douces.

Beaucoup d'animaux de nos mares, lymnées, planorbes, physes, aselles, s'adaptent assez facilement aux eaux salées; mais cette adaptation rétrograde, qui n'a pas donné lieu à des expériences méthodiques, est moins intéressante au point de vue qui nous occupe.

Il est bon de remarquer que les animaux qui se modifient le plus facilement sous l'influence des variations de salure de l'eau sont ceux qui n'ont pas la faculté de maintenir la constance chimique de leur milieu intérieur, c'est-à-dire les crustacés.

b) Modification de la quantité et de la qualité des matières organiques contenues dans le milieu extérieur. Le milieu intérieur d'un être n'est pas défini seulement par son degré de salinité, mais encore par la quantité et la qualité des matières organiques qui y sont contenues et qui proviennent, par l'intermédiaire des aliments, du milieu extérieur. Si un adulte s'alimente abondamment, des matériaux nutritifs (vitellus) s'accumulent dans les ovaires et dans les œufs; par suite, les œufs d'une même espèce, suivant les régions ou les saisons, sont plus ou moins chargés de vitellus et présentent des tailles diverses. Ainsi, tandis qu'à Wimereux (Pas-de-Calais) les œufs du Palæmonetes varians sont de petite taille, dans le golfe de Naples, grâce à l'abondance des matériaux nutritifs contenus dans l'eau, ces œufs sont énormes, et le développement est abrégé. C'est Giard qui, avec Boas, a mis en évidence ce fait extrêmement intéressant; ce savant a groupé sous le nom de pœcilogonie toutes les modifications du développement qui sont sous la dépendance du milieu extérieur. D'autres faits de pacilogonie liés à l'alimentation sont présentés par les crustacés. D'après Brooks et Herrick, une crevette, l'Alpheus heterochelis, présente plusieurs sortes d'œufs et plusieurs modes de développement suivant les localités où on la rencontre à Key-West (Floride), l'embryon sort de l'œuf comme la jeune écrevisse avec tous les caractères de l'animal adulte; aux îles Bahama, au contraire, l'œuf est moins gros, et il en sort une larve qui passe par cinq états différents avant de ressembler à l'adulte. Une autre alphée vit parmi des éponges vertes ou brunes : les individus qui vivent dans l'éponge verte ont un grand nombre d'œufs très petits, d'où sortent des larves qui ont à subir beaucoup de transformations pour devenir des adultes; ceux qui vivent dans l'éponge brune portent un petit nombre d'œufs très gros, d'où sortent des larves plus rapprochées de l'état adulte. Dans le développement des méduses, on observe des différences analogues.

Si l'alimentation d'un adulte peut, comme dans les cas précédents, par l'intermédiaire de l'œuf, exercer son influence sur le développement de la génération suivante, l'alimentation peut avoir une influence immédiate sur le développement. L'exemple de l'axolotl est typique à cet égard. Ce batracien n'est autre chose que la larve d'une sorte de salamandre qui vit dans les lacs du Mexique; si la nourriture est abondante, la larve grossit, parfois démesurément, en conservant ses caractères larvaires, en particulier des houppes de filaments respiratoires (branchies) de chaque côté du cou; elle peut même se reproduire ; si on vient à supprimer les aliments, l'axolotl maigrit et perd rapidement ses caractères larvaires; l'inanition détermine la métamorphose de la larve en amblystome, animal à respiration pulmonaire.

L'aliment agit, non seulement par sa quantité, mais encore par sa qualité. Ici même (Revue des Idées, p. 71), on a rendu compte des inté

ressantes expériences de Houssay relatives à l'influence du régime carnivore sur les poules; dès la première génération, le tube digestif et les reins sont profondément modifiés.

Le régime alimentaire modifie non seulement la forme d'un être, mais encore sa coloration. Les serins des Canaries, jaunes ou gris verdâtre, deviennent d'un rouge orangé lorsqu'on les nourrit avec du poivre de Cayenne. Il y a longtemps déjà que Sanermann a étudié le mécanisme de ce phénomène,et a montré que le principe actif du poivre de Cayenne, la capsicine, n'agit qu'en présence des matières grasses. Les sauvages de la côte américaine vendent aux voyageurs des perroquets aux colorations étranges et qu'ils ont nourris avec la graisse de certains poissons: sans doute ces graisses interviennent comme dans le cas précédent. Blanchon a obtenu des canaris à plumage rouge, non seulement avec le poivre de Cayenne, mais encore avec la racine d'orcanette, les clous de girofle, l'écorce de quinquina, mélangés avec des matières grasses. Les mêmes épices permettent de renforcer les colorations des races gallines, qui, nourries avec le maïs, acquièrent des plumes jaunes et rouges. Pictet a de même modifié la coloration des papillons en nourrissant de diverses façons les chenilles.

c) Modification de la température. On voit par tous ces exemples à quel point l'alimentation par les matières organiques est susceptible de faire varier un être vivant. La chaleur et la lumière étant des excitants des phénomènes par lesquels l'aliment est utilisé pour fabriquer de la matière vivante, on conçoit facilement que ces agents puissent avoir une action modificatrice sur un être vivant.

L'exemple de la lymnée est frappant à cet égard. Ce mollusque, qui vit dans toutes les mares des environs de Paris, a une coquille qui rappelle celle de l'escargot, mais dont la spire est plus allongée. D'après Semper, si la température n'atteint pas 12o, la lymnée, tout en mangeant, ne s'accroît guère, mais peut se reproduire; si, au contraire, la température dépasse 12o, l'assimilation devient très active, et la croissance est en moyenne de 8 millimètres par mois; or, dans certaines mares et dans certains fossés, la température ne dépasse12° que pendant les trois mois de l'été; aussi les lymnées y restent de petite taille; elles se reproduisent surtout en hiver en donnant naissance à de petites lymnées qui ne grandissent pas; le nanisme est un caractère acquis et fixé, car les lymnées naines transportées dans des eaux plus chaudes conservent pendant plusieurs générations leur petite taille.

L'abaissement de la température n'entraîne pas seulement le nanisme; il peut entraîner des anomalies de forme; c'est ainsi que Devitz, en soumettant différentes larves au refroidissement, a obtenu des insectes aptères les abeilles et les guêpes privées d'ailes ne sont pas rares; elles se formeraient dans les saisons froides.

Les variations de la température peuvent entraîner enfin des modifi

cations de la coloration, comme l'ont bien montré les expériences de Weisman, de Standfuss, de Fischer, d'Urech... sur les papillons, et en particulier sur les vanesses. En soumettant des chrysalides à des oscillations de la température, les écailles des vanesses subissent des changements de teinte plus ou moins considérables suivant la série suivante : jaune, orangé, rouge-brun, brun, noir.

Stanfusse a montré qu'il suffit,deux, trois ou quatre jours de suite, d'exposer pendant deux heures des chrysalides à la température de 42° pour déterminer des aberrations; or, ces conditions sont réalisées dans la nature, sur les pentes des montagnes, le long des murs exposés au soleil, et précisément dans les habitats de ce genre on trouve les aberrations obtenues artificiellement; dans un cas observé, l'aberration est devenue héréditaire.

d) Modification de l'éclairement.-L'influence de la lumière sur la taille et sur la forme des êtres vivants a été assez mal étudiée, mais son influence sur leur coloration a donné lieu à des expériences excessivement curieuses.

Poulton a constaté que les couleurs de certaines chrysalides résulte de celle des objets qui environnent les chenilles au moment de leur transformation; il en a placé dans des boîtes garnies de papiers de teintes variées les chrysalides prenaient ces teintes. Ces expériences ont été confirmées depuis par Merriefield et par Kathariner; ce dernier, en élevant des chenilles dans des caisses de diverses couleurs et également éclairées, a obtenu deux variétés de Vanessa io, l'une gris brun, l'autre jaune verdâtre clair. Il semble que, dans certains cas, la lumière agisse directement sur le pigment; c'est alors, d'après Giard, une véritable photographie des couleurs. Schröder a montré, en effet, qu'il suffit d'exposer aux rayons lumineux reflétés par des morceaux de papier diversement colorés la chenille de l' Eupithecia oblongata pour que celle-ci prenne diverses teintes: rouge, jaune, vert, gris; il en est de même dans la nature en présence des diverses fleurs.

Toutes les causes de variations que j'ai envisagées jusqu'ici : hybridation, bouturage, modification de la salinité de l'eau, de l'alimentation, de la température, de l'éclairement, agissent sur la masse totale de la matière vivante qui constitue un individu en en modifiant l'état chimique. Très souvent la modification chimique a lieu au moment où se forme l'œuf; cette modification peut subsister et se manifester de façons variées aux diverses phases du développement et dans les diverses parties du corps en voie de formation.

Ainsi s'expliquent les variations dues à l'hybridation, ainsi s'expliquent une foule de variations dues à une modification momentanée des

conditions de vie de l'œuf. Vernon a montré qu'il suffit de faire varier pendant une minute la température d'un œuf d'oursin pour que le développement ultérieur se fasse différemment; un œuf refroidi ou surchauffé quelques instants donne naissance à une larve qui reste plus petite; il suffit de même d'insoler des œufs de grenouille pendant quelques heures pour que les têtards obtenus aient un aspect différent de l'aspect normal. La modification chimique de la substance qui constitue un être vivant peut se produire au cours du développement même. Comme dans le cas précédent, elle intéresse encore la masse totale de la matière vivante et par conséquent les œufs qui vont s'en détacher: elle est donc transmissible d'une génération à la génération suivante.

Maintenant il me faut signaler d'autres causes de variation que Lamarck considérait même comme les causes principales de la variation des animaux, et qui agissent par un mécanisme tout à fait différent. L'organisme n'est plus considéré comme une masse de matière vivante influencée uniformément par un agent modificateur, il est considéré comme une sorte de machine, composée d'organes et de systèmes organes ou appareils, dont les mouvements sont coordonnés; un agent chimique, physique, mécanique, peut, en modifiant ces mouvements, déterminer une modification dans un territoire organique. « Dans tout animal qui n'a point dépassé le terme de son développement, dit Lamarck (Philosophie zoologique), l'emploi plus fréquent et plus soutenu d'un organe quelconque fortifie peu à peu cet organe le développe, l'agrandit et lui donne une puissance proportionnée à la durée de cet emploi; tandis que le défaut constant d'usage de tel organe l'affaiblit insensiblement, le détériore, diminue progressivement ses facultés et finit par le faire disparaître. » Je n'insisterai pas sur les faits bien connus qui ont fait dire que la fonction fait l'organe : je rappellerai seulement le grand développement des biceps d'un lutteur, des mollets d'une danseuse, de la poitrine d'une chanteuse...

L'hypertrophie ou l'atrophie d'un organe peut s'expliquer par des modifications chimiques localisées à cet organe. Dans certains cas, le phénomène peut se compliquer chez les crustacés, il suffit que les mouvements de certains appendices changent d'allure pour que le trajet du courant respiratoire se trouve totalement modifié : les territoires soumis à l'action de l'oxygène et à celle de l'acide carboniqne ne sont plus les mêmes et il en résulte des modifications locales, mais en dehors de l'organe dont les mouvements sont modifiés. Toutes ces modifications locales peuvent-elles se transmettre d'une génération à l'autre? Au sujet de la réponse à cette question, les biologistes ne sont pas arrivés encore à s'entendre, et pour discuter les opinions diverses il faudrait tout un article.

Certains ont tenté de faire passer la question dans le domaine expérimental, de chercher si certaines modifications obtenues par une

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