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années pour assainir, si on peut se servir de cette expression, certaines rues de Paris. Les trois rues du Heurleux furent presque les dernières, les habitants résistèrent pendant cinq ans ; ils s'adressèrent à la justice pour être maintenus dans le droit de loger et de recevoir chez eux des prostituées; mais ils perdirent au tribunal du Châtelet; ils en appelèrent au roi, qui confirma la sentence des premiers juges. Cette sentence ayant été lue aux deux extrémités de chacune de ces rues, les mauvais lieux qu'elles contenaient furent enfin fermés après trois siècles d'existence.

Suivant les commissaires de police de La Marre et Desessards, dans les ouvrages desquels j'ai puisé tous les détails de législation que je viens de rapporter, et beaucoup de ceux que je citerai encore, on parvint par ces voies rigoureuses à détruire dans Paris beaucoup de mauvais lieux; mais ces auteurs conviennent qu'à leur place il s'en forma une multitude de secrets, plus pernicieux que tous les autres. Ainsi le mal inhérent à la prostitution est toujours resté le même; sa force irrésistible a de tout temps fatigué ceux qui ont voulu employer la violence pour le comprimer, il n'a cédé qu'aux esprits sages qui se sont contentés de le diriger, et d'opposer des digues à ses envahissements et à ses excès les plus révoltants.

Malgré les progrès immenses que fit la civilisa

tion dans le xvri' et le xvir siècle, et les améliorations notables qui s'introduisirent alors dans l'ordre social, cet esprit d'intolérance contre tout ce qui regarde la prostitution, et que renouvela l'ordonnance de 1560, n'en resta pas moins en vigueur, et ce qui doit étonner, c'est qu'il se prolongea jusqu'à la fin du xvIII° siècle. L'ordonnance du prévôt de Paris, publiée en 1565, fut renouvelée et 1619; on y enjoignait aux filles de débauche de se mettre en condition sous vingt-quatre heures, ou de vider la ville et les faubourgs, comme s'il était possible à une malheureuse manquant de tout, et signalée à l'indignation et au mépris public, de trouver une place de domestique ou même du travail à sa première volonté.

SII. État de cette police et de cette législation depuis Louis XIV jusqu'à l'époque de la révolution.

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Mesures prises en 1684 pour la répression des désordres inhérents à la prostitution. Institution des lieutenants de police chargés particuliè→ rement de la surveillance des mœurs, Règlement de 1713.- Esprit de ce règlement. Combien il est remarquable sous le rapport de tout ce qui tient à la conservation de la liberté individuelle. Distinction qu'il établit entre la débauche et la prostitution publique. Tout prouve qu'il n'a fait aucun bien. - Analyse des senteuces prononcées par le lieutenant de police contre les prostituées, de 1724 à 1788. — Elles nous montrent ce qu'était la prostitution à Paris pendant cette période. Ordonnance célèbre de 1778, rendue par le lieutenant de police Lenoir.

Elle démontre l'ignorance de ce magistrat sur tout ce qui regarde la prostitution. Elle prescrit des choses impraticables. Elle n'est cependant pas abrogée, et peut, d'après les lois actuelles, être remise en vigueur. Elle fait ressortir et met en évidence la profonde sagesse de saint Louis. Elle n'améliore pas les mœurs et ne diminue pas le scandale. Elle simplifie la marche de l'administration. Appareil judiciaire mis en usage dans les jugements du lieutenant de police. — Tableau d'une séance tenue par ce magistrat.

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C'est en 1684 que commence la période des règlements dont se rapprochent le plus les formes qui s'observent aujourd'hui administrativement en matière de prostitution. A cette époque très remarquable la capitale s'était déjà beaucoup agrandie, et la population était devenue bien plus considérable. En un siècle et plus, un des fléaux les plus funestes à l'humanité avait eu le temps de prendre un grand développement, et c'étaient les prostituées qui contribuaient le plus puissamment à sa propagation; la prévoyance même de Louis XIV confirma cette vérité, ainsi que nous l'avons fait remarquer ailleurs;

ce ne fut plus dans une prison ordinaire que dûrent être envoyées les prostituées, ce fut dans un hôpital. Trois ordonnances du roi parurent le même jour 20 avril 1684, l'une pour la punition et le traitement des filles d'une débauche publique et scandaleuse, l'autre pour la correction des enfants mineurs appartenant à des familles pauvres; la dernière pour la correction des enfants appartenant à des parents aisés ; les enfants pauvres devant être placés, les filles à la Salpêtrière, les garçons à Bicêtre; quant aux autres, la maison du Refuge leur fut particulièrement affectée, et il y eut pour eux un règlement spécial. Ainsi, pour la première fois, on fait une distinction très sensible entre le scandale de la prostitution publique et le scandale des mœurs dans les familles.

Pour la répression comme pour la correction, il était procédé juridiquement. Le lieutenant de police, nouvelle magistrature créée par Louis XIV, exerçait une juridiction toute spéciale en matière de mœurs; il poursuivait, il prononçait des sentences, et veillait à leur exécution; il graduait les

pu

nitions selon la gravité des cas. A cet égard, les attributions furent particulièrement réglées par la déclaration du 26 juillet 1713. Je reviendrai plus tard sur l'examen des pouvoirs confiés au lieutenant de police; c'est en effet une des plus graves questions qui puissent être traitées dans un ouvrage sur

les prostituées, et qui, même à l'époque actuelle, nous intéresse au plus haut degré.

il

Ce règlement de 1713 est particulièrement remarquable par les précautions conservatrices de la liberté individuelle qu'il exige; sous ce rapport, il a devancé les idées qui dominaient dans le siècle où parut. On y trouve que dans le cas de débauche publique et scandaleuse, où il devait être prononcé des condamnations d'amendes, d'aumônes, des injonctions de vider les lieux ou même la ville, ou ordonné que les meubles seraient jetés sur le carreau ou confisqués au profit des pauvres de l'hôpital général, chaque commissaire, dans son quartier, recevait la déclaration des voisins après leur avoir fait prêter serment; il assignait les parties à comparaître à l'audience du lieutenant de police; là il rapportait en leur présence les faits contenus en son procès-verbal; si ces faits étaient déniés par les parties, le lieutenant de police, sur les conclusions du procureur du roi au Châtelet, ordonnait des informations, le tout à la charge de l'appel en la cour du parlement; et dans le cas de maquerellage, prostitution publique (qu'on remarque bien ce mot) et autres, où il échoit peine afflictive, le lieutenant de police était tenu d'instruire le procès aux accusés, par récolement et confrontation, suivant les ordonnances.

Arrêtons-nous un instant sur ce règlement ou

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