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saillant qui avait été annoncé, savoir, un rétrécissement de la pupille que nous pouvons constater ici, et sur lequel on fit ensuite beaucoup d'hypothèses. On supposa, par exemple, que le nerf moteur oculaire commun donnait le mouvement aux muscles constricteurs pupillaires, et le grand sympathique aux muscles dilatateurs, etc. Tous les ans, dans mes cours, je faisais cette expérience, dans laquelle je vérifiais comme tout le monde les phénomènes relatifs à cette théorie des mouvements de la pupille, mais sans rien y voir autre chose. Lorsqu'il y a trois ans environ, rassemblant les observations que possède la science sur les effets de la section des nerfs dans les différentes parties du corps, et sur l'influence que cette section exerce sur la chaleur de ces mêmes parties, je trouvai des faits en apparence contradictoires consignés par les expérimentateurs, les uns annonçant qu'après la section des nerfs, il y a abaissement de température, les autres disant que cet abaissement n'existait pas. Étant bien pénétré de cette pensée qu'il ne pouvait pas y avoir contradiction dans ces faits bien observés, et que cette diversité des résultats dépendait de conditions particulières à l'expérimentation, je résolus de les rechercher. Je partis pour cela d'une loi ou d'une idée, si vous voulez, généralement admise, à savoir, que le grand sympathique est un nerf qui suit les artères, et se rend aux organes glandulaires, pour servir surtout à l'accomplissement des phénomènes chimiques que l'on regarde comme la source de la chaleur animale. Admettant cette théorie comme vraie, le raisonnement

logique fut de conclure que le refroidissement dans les organes dont les nerfs avaient été coupés tenait à ce que les filets du nerf sympathique avaient été détruits, et à ce que, par suite, les phénomènes chimiques, source de la chaleur, se trouvaient diminués ou anéantis. Restait à instituer l'expérience pour vérifier les données de la théorie. Il s'agissait de couper isolément un filet du nerf sympathique afin d'examiner si cette opération amènerait un abaissement de la température des parties. J'ai choisi le lapin, chez lequel cette expérience est parfaitement réalisable au cou, parce que le grand sympathique y est séparé du pneumo-gastrique; il est d'ailleurs admis que ce filet du grand sympathique, sur lequel nous avons agi, prend naissance dans la moelle épinière et monte le long du cou pour se distribuer vers la tête.

D'après les prévisions de la théorie, la section du nerf sympathique à gauche, chez notre lapin, a dû paralyser les actes chimiques qui se passent dans les capillaires de la tête, et la température devra se trouver abaissée dans la moitié de la tête correspondant au côté où ce nerf a été coupé. Or l'expérience est faite depuis environ un quart d'heure ; constatons ce qui s'est passé sous le rapport de la modification de température. Nous touchons avec la main les deux côtés de la face et les deux oreilles du lapin, et nous jugeons avec la plus grande évidence, par la simple sensation, que, loin d'être abaissée, la température s'est au contraire considérablement accrue à gauche, du côté où nous avons coupé le nerf sympathique. En plongeant

un thermomètre dans l'oreille gauche, nous y trouvons quatre degrés de plus que dans l'orcille droite. Vousmême pouvez sentir à la main cette différence de température, tant elle est évidente et considérable. L'observation m'a appris, du reste, que cet excès de température peut durer plusieurs semaines après la section du nerf sympathique.

Voilà, messieurs, ce que j'appelle une découverte imprévue, c'est-à-dire un résultat d'expérience qui, au lieu de confirmer la théorie qui a provoqué à sa recherche, se trouve au contraire complétement en désaccord ou en opposition avec elle. Le phénomène que nous avons découvert est on ne peut plus facile à voir, et il était cependant passé inaperçu sous les de beaucoup d'observateurs éminents, ainsi que sous les nôtres pendant longtemps.

yeux

Si la théorie n'a pas été confirmée, néanmoins c'est elle qui, en dirigeant l'esprit dans un certain sens, a conduit à la découverte du fait nouveau. C'est ainsi que nous comprenons l'importance purement directrice et provisoire des théories. Nous devous les prendre comme des instruments intellectuels, prêts à les abandonner et à les sacrifier à la plus petite vérité, et la science ne peut qu'y gagner. Ici, par exemple, rien n'est perdu pour la physiologie. Ce qu'a découvert Pourfour du Petit persiste toujours; il y a senlement un autre résultat qui est acquis en plus. Quant à la théorie du nerf grand sympathique, elle changera et se modifiera sans doute, mais peu nous importe. Nous sacrifierons des hypothèses et des théories tant

qu'il en faudra, pourvu que nous découvrions des faits nouveaux qui seront, ainsi que nous l'avons déjà dit, les seules réalités indestructibles sur lesquelles la science positive doit se fonder et s'élever peu à peu.

Si nous faisons si bon marché de nos théories et de nos lois, c'est que nous avons conscience de leur imperfection. Mais il y a des esprits qui, saisis à juste titre d'admiration pour la simplicité et la généralité, des lois qui régissent les sciences astronomiques et quelques parties des sciences physico-chimiques, voient, dans l'application sûre de ces théories à la découverte des faits nouveaux, l'idéal de la puissance intellectuelle de l'homme sur la nature. Ces esprits se trouvent comme humiliés quand, en physiologie, ils se voient arrêtés à chaque pas dans leur essor imaginaire par la réalité matérielle, par ce qu'on appelle le fait brutal. Alors, il peut se faire qu'au lieu de se résigner et de procéder ainsi que nous le recommandions, ces physiologistes aient l'illusion de croire que leurs théories vaudront mieux que celles des autres. On les voit alors tordant et mutilant les faits pour les faire entrer dans leurs vues, éliminant ceux qui leur sont contraires, arriver à construire des systèmes que leur talent peut faire briller ́d'un éclat plus ou moins vif, mais dont la vérité finit toujours par faire justice. Aujourd'hui, en physiologie, cette tendance systématique est des plus malheureuses pour la science, qu'elle retarde; et quant aux hommes dont je parle, ils ne sauraient faire en ce cas preuve d'une supériorité d'esprit généralisateur, ils prouvent uniquement qu'ils n'ont pas le sentiment de la nature

de la science qu'ils cultivent, ni la conscience de l'état dans lequel elle se trouve. Il faut bien être convaincu, en effet, , que dans ces problèmes si complexes de la vie, les esprits même les plus vastes ne peuvent pas faire l'impossible, et faire que des phénomènes complexes soient simples, et que des lois ou théories mauvaises soient bonnes. Les généralisateurs ne manquent pas, mais les grandes généralisations sont encore impossibles en physiologie. L'expérimentateur, guidé par cette lueur provisoire des théories actuelles, doit se considérer comme un aveugle, et n'avancer qu'avec circonspection, en donnant toujours la main à l'expérience qui, seule, peut l'empêcher de tomber dans l'erreur et de s'égarer. Sans doute, il faut avoir foi dans l'avenir et croire à un temps meilleur, où la science physiologique, mieux constituée, permettra à la généralisation un plus libre essor; mais c'est à la préparation de cet avenir qu'il faut travailler, et nous sommes intimement convaincu qu'il n'y a pas aujourd'hui de moyens plus efficaces d'accélérer les progrès de la physiologie que d'y faire des découvertes. Ce sera, ainsi que nous l'avons dit, le but unique de nos efforts dans cet enseignement.

Maintenant, messieurs, nous arrivons à ce que nous appelons la critique expérimentale. Elle a un rôle très important à remplir, car elle établit les faits dans leur signification et dans leurs conditions d'existence. Elle dirige donc l'expérimentation en déterminant les circonstances dans lesquelles elle doit être instituée. Avant tout, il importe que les faits soient bien fixés, car

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