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Je m'appelais le conte de Guidon;
Je fus sur terre et soldat et poltron ;
Puis m'enrôlai sous saint François d'Assise,
Afin qu'un jour le bout de son cordon
Me donnât place en la céleste église ;
Et j'y serais sans ce pape félon,
Qui m'ordonna de servir sa feintise,
Et me rendit aux griffes du démon.
Voici le fait. Quand j'étais sur la terre,
Vers Rimini je fis long-temps la guerre,
Moins, je l'avoue, en héros qu'en fripon.
L'art de fourber me fit un grand renom.
Mais quand mon chef eut porté poil grison,
Temps de retraite oû convient la sagesse,
Le repentir vint ronger ma vieillesse,
Et j'eus recours à la confession.
O repentir tardif et peu durable!

Le bon saint-père en ce temps guerroyait,
Non le soudan, non le Turc intraitable,`
Mais les chrétiens qu'en vrai Turc il pillait.
Or, sans respect pour tiare et tonsure,
Pour saint François, son froc et sa ceinture;
Frère, dit-il, il me convient d'avoir
Incessamment Préneste en mon pouvoir.
Conseille-moi, cherche sous ton capuce
Quelque beau tour, quelque gentille astuce,
Pour ajouter en bref à mes états

Ce qui me tente et ne m'appartient pas.
J'ai les deux clefs du ciel en ma puissance.
De Célestin la dévote imprudence

S'en servit mal, et moi je sais ouvrir
Et refermer le ciel à mon plaisir.
Si tu me sers, ce ciel est ton partage.
Je le servis, et trop bien: dont j'enrage.
Il eut Préneste, et la mort me saisit.
Lors devers moi saint François descendit,
Comptant au ciel amener ma bonne ame;
Mais Belzébut vint en poste, et lui dit :
Monsieur d'Assise, arrêtez: je réclame
Ce conseiller du saint-père, il est mien;
Bon saint François, que chacun ait le sien
Lors tout penaud le bon homme d'Assise
M'abandonnait au grand diable d'enfer.
Je lui criai: Monsieur de Lucifer,
Je suis un saint, voyez ma robe grise;
Je fus absous par le chef de l'église.
J'aurai toujours, répondit le démon,
Un grand respect pour l'absolution :
On est lavé de ses vieilles sottises,
Pourvu qu'après autres ne soient commises.
J'ai fait souvent cette distinction
A tes pareils; et grace à l'Italie,
Le diable sait de la théologie.

Il dit, et rit: je ne répliquai rien
A Belzebut; il raisonnait trop bien.
Lors il m'empoigne, et d'un bras raide et ferme
Il appliqua sur mon triste épiderme

Vingt coups de fouet, dont bien fort il me cuit:
Que Dieu le rende à Boniface huit.

LA DIVINE COMÉDIE.
Rivarol, Étude sur Dante.

Étrange et admirable entreprise! Remonter du dernier gouffre des Enfers, jusqu'au sublime sanctuaire des Cieux; embrasser la double hiérarchie des vices et des vertus, l'extrême misère et la suprême félicité, le temps et l'éternité; peindre à-la-fois l'ange et

l'homme, l'auteur de tout mal, et le saint des saints! Aussi on ne peut se figurer la sensation prodigieuse que fit sur toute l'Italie ce Poème national, rempli de hardiesses contre les Papes; d'allusions aux événemens récens et aux questions qui agitoient les esprits; écrit

d'ailleurs dans une langue au berceau, qui prenoit entre les mains du Dante une fierté qu'elle n'eut plus après lui, et qu'on ne lui connoissoit pas avant. L'effet qu'il produisit fut tel, que lorsque son langage rude et original ne fut presque plus entendu, et qu'on eut perdu la clef des allusions, sa grande réputation ne laissa pas de s'étendre dans un espace de cinq cents ans, comme ces fortes commotions dont l'ébranlement se propage à d'immenses distances.

L'Italie donna le nom de divin à ce Poème et à son Auteur; et quoiqu'on l'eût laissé mourir en exil, cependant ses amis et ses nombreux admirateurs eurent assez de crédit, sept à huit ans après sa mort, pour faire condamner le Poète Cecco d'Ascoli à être brûlé publiquement à Florence, sous prétexte de magie et d'hérésie, mais réellement parce qu'il avoit osé critiquer le Dante. Sa patrie lui éleva des monumens, et envoya, par décret du Sénat, une députation à un de ses petits-fils, qui refusa d'entrer dans la maison et les biens de son aïeul. Trois Papes ont depuis accepté la dédicace de LA DIVINA COMEDIA, et on a fondé des chaires pour expliquer les oracles de cette obscure divinité.*

Les longs commentaires n'ont pas

* Le Dante n'a pas donné le nom de Comédie aux trois grandes parties de son Poème, parce qu'il finit d'une manière heureuse, ayant le Paradis pour dénoûment, ainsi que l'ont cru les Commentateurs: mais parce qu'ayant honoré l'Enéide du nom d'ALTA TRAGEDIA, il a voulu prendre un titre plus humble, qui convint mieux au style qu'il emploie, si différent en effet de celui de son maître.

éclairci les difficultés, la foule des Commentateurs n'ayant vu par-tout que la théologie: mais ils auroient dû voir aussi la mythologie, car le Poète les a mêlées. Ils veulent tous absolument que le Dante soit la partie animale, ou les sens; Virgile, la philosophie morale, ou la simple raison; et Béatrix, la lumière révélée, ou la théologie. Ainsi, l'homme grossier représenté par le Dante, après s'être égaré dans une forêt obscure, qui signifie, suivant eux, les orages de la jeunesse, est ramené par la raison à la connoissance des vices et des peines qu'ils méritent; c'est-à-dire, aux Enfers et au Purgatoire: mais quand il se présente aux portes du Ciel, Béatrix se montre, et Virgile disparoît. C'est la raison qui fuit devant la théologie.

Il est difficile de se figurer qu'on puisse faire un beau Poème avec de telles idées; et ce qui doit nous mettre en garde contre ces sortes d'explications, c'est qu'il n'est rien qu'on ne puisse plier sous l'allégorie avec plus ou moins de bonheur. On n'a qu'à voir celle que le Tasse a lui-même trouvée dans sa Jérusalem.

Mais il est temps de nous occuper du Poème de l'Enfer en particulier, de son coloris, de ses beautés et de ses défauts.

Au temps où le Dante écrivoit, la Littérature se réduisoit en France, comme en Espagne, aux petites poésies des Troubadours. En Italie, on ne faisoit rien d'important dans la langue du peuple; tout s'écrivoit en latin. Mais le Dante ayant à construire son monde idéal, et voulant peindre pour

son siécle et sa nation,* prit ses matériaux où il les trouva: il fit parler une langue qui avoit bégayé jusqu'alors, et les mots extraordinaires qu'il créoit au besoin, n'ont servi qu'à lui seul. Voilà une des causes de son obscurité. D'ailleurs il n'est point de Poète qui tende plus de piéges à son Traducteur; c'est presque toujours des bizarreries, des énigmes ou des horreurs qu'il lui propose i entasse les comparaisons les plus dégoûtantes, les allusions, les termes de l'école et les expressions les plus basses rien ne lui paroît méprisable, et la langue française chaste et timorée s'effarouche à chaque phrase. Le Traducteur a sans cesse à lutter contre un style affamé de poésie, qui est riche et point délicat, et qui dans cinq ou six tirades épuise ses ressources, et lui dessèche ses palettes. Quel parti donc prendre? Celui de ménager ses couleurs; car il s'agit d'en fournir aux dessins les plus fiers qui aient été tracés de main d'homme; et lorsqu'on est pauvre et délicat, il convient d'être sobre. Il faut surtout varier ses inversions: le Dante dessine quelquefois l'attitude de ses personnages par la coupe de ses phrases; il a des brusqueries de style qui produisent de grands effets; et souvent dans la peinture de ses supplices il emploie

* C'est un des grands défauts du Poème, d'être fait un peu trop pour le moment: delà vient que l'Auteur ne s'attachant qu'à présenter sans cesse les nouvelles tortures qu'il invente, court toujours en avant, et ne fait qu'indiquer les aventures. C'étoit assez pour son temps; pas assez pour le nôtre.

une fatigue de mots qui rend merveilleusement celle des tourmentés. L'imagination passe toujours de la surprise que lui cause la description d'une chose incroyable, à l'effroi que lui donne nécessairement la vérité du tableau: il arrive de-là que ce monde visible ayant fourni au Poète assez d'images pour peindre son monde idéal, il conduit et ramène sans cesse le Lecteur de l'un à l'autre ; et ce mélange d'événemens si invraisemblables et de couleurs si vraies, fait toute la magie de son Poème.

Le Dante a versifié par tercets, ou à rimes triplées; et c'est de tous les Poètes celui qui, pour mieux porter le joug, s'est permis le plus d'expressions impropres et bizarres: mais aussi quand il est beau, rien ne lui est comparable. Son vers se tient debout par la seule force du substantif et du verbe, sans le concours d'une seule épithète.*

Si les comparaisons et les tortures que le Dante imagine, sont quelquefois horribles, elles ont toujours un côté ingénieux, et chaque supplice est pris dans la nature du crime qu'il punit. Quant à ses idées les plus bizarres, elles offrent aussi je ne sais quoi de grand et de rare qui étonne et attache le Lecteur. Son dialogue est souvent plein

*Tels sont sans doute aussi les beaux vers de Virgile et d'Homère; ils offrent à-la-fois la pensée, l'image et le sentiment: ce sont de vrais polypes, vivans dans le tout, et vivans dans chaque partie; et dans cette plénitude de poésie, il ne peut se trouver un mot qui n'ait une grande intention. Mais on n'y sent pas ce goût âpre et sauvage, cette franchise qui ne peut s'allier avec la perfection, et qui fait le caractère et le charme du Dante.

de vigueur et de naturel, et tous ses personnages sont fièrement dessinés. La plupart de ses peintures ont encore aujourd'hui la force de l'antique et la fraîcheur du moderne, et peuvent être comparées à ces tableaux d'un coloris sombre et effrayant, qui sortoient des ateliers des Michel-Ange et des Carraches, et donnoient à des sujets empruntés de la Religion, une sublimité .qui parloit à tous les yeux.

Il est vrai que dans cette immense galerie de supplices, on ne rencontre pas assez d'épisodes; et malgré la briéveté des Chants, qui sont comme des repos placés de très-près, le Lecteur le plus intrépide ne peut échapper à la fatigue. C'est le vice fondamental du Poème.

Enfin, du mélange de ses beautés et de ses défauts, il résulte un Poème qui ne ressemble à rien de ce qu'on a vu, et qui laisse dans l'ame une impression durable. On se demande, après l'avoir lu, comment un homme a pu trouver dans son imagination tant de supplices différens, qu'il semble avoir épuisé les ressources de la vengeance divine; comment il a pu, dans une langue naissante, les peindre avec des couleurs si chaudes et si vraies; et dans une carrière de trente-quatre Chants se tenir sans cesse la tête courbée dans les Enfers.

Au reste, ce Poème ne pouvoit paroître dans des circonstances plus malheureuses: nous sommes trop près ou

trop loin de son sujet. Le Dante parloit à des esprits religieux, pour qui ses paroles étoient des paroles de vie, et qui l'entendoient à demi-mot: mais il semble qu'aujourd'hui on ne puisse plus traiter les grands sujets mystiques d'une manière sérieuse. manière sérieuse. Si jamais, ce qu'il

n'est pas permis de croire, notre théologie devenoit une langue morte, et s'il arrivoit qu'elle obtînt, comme la mythologie, les honneurs de l'antique ; alors le Dante inspireroit une autre espèce d'intérêt: son Poème s'élèveroit comme un grand monument au milieu des ruines des Littératures et des Religions il seroit plus facile à cette postérité reculée, de s'accommoder des peintures sérieuses du Poète, et de se pénétrer de la véritable terreur de son Enfer; on se feroit chrétien avec le Dante, comme on se fait payen avec Homère.*

* Je serois tenté de croire que ce Poème auroit produit de l'effet sous Louis XIV., quand je vois Pascal avouer dans ce siècle, que la sévérité de Dieu envers les damnés le surprend moins que sa miséricorde envers les élus. On verra par quelques citations de cet éloquent mysanthrope, qu'il étoit bien digne de faire l'Enfer, et que peut-être celui du Dante lui eût semblé trop doux.

NOTES SUR LE DANTE.

Par Alphonse de Lamartine.

Nous allons froisser tous les fanatismes; n'importe, disons ce que nous pensons.

On peut classer le poème du Dante de l'Enfer, du Purgatoire et du Paradis parmi les poèmes populaires, c'est-à-dire parmi ces poésies locales, nationales, temporaires, qui émanent du génie du lieu, de la nation, du temps (genius loci), et qui s'adressent aux croyances, aux superstitions, aux passions infimes de la multitude. Quand le poète est aussi médiocre que son pays, son peuple et son temps, ces poésies sont entraînées dans le courant ou dans l'égout des âges avec la multitude qui les goûte; quand le poète est un grand homme d'expression, comme le Dante, le poète survit éternellement, et on essaie éternellement aussi de faire survivre le poème; mais on n'y parvient pas. L'œuvre, jadis intelligible et populaire, aujourd'hui ténébreuse et inexplicable, résiste, comme le sphinx, aux interrogations des érudits, il n'en subsiste que des fragments plus semblables à des énigmes qu'à des monuments.

Pour comprendre le Dante, il faudrait ressusciter toute la populace florentine de son époque: car ce sont ses croyances, ses haines, ses popularités et ses impopularités qu'il a chantées. Il est puni par où il a péché: il a chanté pour la place publique, la postérité ne le comprend plus. 50

VOL. III.

Tout ce qu'on peut comprendre, c'est que le poème exclusivement toscan du Dante était une espèce de satire vengeresse du poète et de l'homme d'État contre les hommes et les partis auxquels il avait voué sa haine. L'idée était mesquine et indigne du poète. Le génie n'est pas un jouet mis au service de nos petites colères; c'est un don de Dieu qu'on peut profaner en le ravalant à des petitesses. La lyre, pour nous servir de l'expression antique, n'est pas une tenaille pour tortårer nos adversaires, une claie pour trainer des cadavres aux gémonies; il faut laisser cela à faire au bourreau: ce n'est pas œuvre de poète. Le Dante eut ce tort; il crut que les siècles, infatués par ses vers, prendraient parti contre on ne sait quels rivaux ou quels ennemis inconnus qui battaient alors le pavé de Florence. Ces amitiés ou ces inimitiés d'hommes obscurs sont parfaitement indifférentes à la postérité. Elle aime mieux un beau vers, une belle image, un beau sentiment, que toute cette chronique rimée de la place du Vieux- Palais (Palazzo-Vecchio) à

Florence.

Au lieu de faire un poème épique vaste et immortel comme la nature, le Dante a fait la gazette florentine de la postérité. C'est là le vice de l'Enfer du Dante. Une gazette ne vit qu'un jour; mais le style dans lequel le Dante

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