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SUR

JACQUES Delille.

La nature, qui marque certains hommes d'un type particulier, avait dit à Delille, comme autrefois à Ovide Tu feras des vers. Delille obéit, comme Ovide, à un penchant impérieux; et, sans doute encore pénétré de la vérité si vivement exprimée par Molière,

Et des emplois de feu demandent tout un homme,

la poésie l'occupa tout entier depuis sa tendre jeunesse jusque sur le seuil du tombeau. Simple répétiteur d'une classe de sixième, il se consolait avec la poésie de l'obligation de donner des leçons de syntaxe et de rudiment; un peu plus tard il mêlait les travaux de la poésie à un enseignement plus libre et plus élevé. Au collège de France, ses auditeurs admirèrent en lui un poète sur le trépied qui s'inspirait dans le commerce d'Homère et de Virgile, d'Horace et de Lucrèce. Hôte charmant, convive aimable, causeur plein d'esprit et de grâce, Delille amenait encore avec lui la poésie dans le

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monde. Les cercles les plus brillans de la capitale ne pouvaient se lasser d'entendre ses beaux vers qui venaient d'éclore, et auxquels la magie de sa déclamation donnait le charme d'une musique nouvelle pour les oreilles françaises. Delille a traversé nos quarante ans de révolution sans interrompre un moment le culte des muses; presque mourant, il murmurait son poème sur la Vieillesse, qu'il a emporté avec lui: certes voilà bien une vie une et complète, une véritable vie d'artiste; en la racontant, nous n'y trouverons pas une lacune de poésie, pas une infidélité à la vocation.

Jacques Delille naquit, le 22 juin 1738, à AiguePerse, en Auvergne. Il fut baptisé à Clermont, et reconnu sur les fonts par M. Montanier, avocat, qui mourut quelque temps après en lui laissant une faible marque de souvenir. Pour surcroît de malheur, le moment même de sa naissance le vit enlever des bras d'une mère réduite à la cruelle nécessité de ne pouvoir avouer ni sa faute, ni son amour. Ce premier essai de la vie ne cessa point d'être présent à la mémoire du poète; aussi ne répéta-t-il jamais sans une émotion secrète et visible pourtant ces vers que Racine a mis dans la bouche d'Ériphile:

Remise dès l'enfance en des bras étrangers,
Je reçus et je vois le jour que je respire
Sans que mère ni père ait daigné me sourire.

Mais l'arrêt prononcé par Virgile contre l'enfant privé des caresses de ses parens n'atteindra pas Delille; au lieu de le rejeter de leur commerce, un jour viendra que les dieux et les déesses de la terre s'empresseront d'accueillir l'orphelin adopté par les muses.

Toutefois cette vie, qui devait jeter tant d'éclat, eut des commencemens pénibles. Sans fortune, sans appui, l'enfant abandonné fut trop heureux de pouvoir être admis dans une école de village; enfin un bon génie le prit sur ses ailes, et le conduisit à Paris. Reçu en qualité de boursier au collége de Lisieux, Delille éprouva bien des privations dans cet hospice littéraire; en récompense, il y reçut les leçons de maîtres habiles. Grâces à leurs soins et aux présens de la nature, leur studieux et brillant élève compta toutes les années de son cours d'études par des triomphes plus étonnans encore que ceux de Thomas. Hélas! le lendemain de sa dernière victoire, le jeune triomphateur se trouvait sans état et sans pain: force lui fut d'aller cacher ses lauriers, et sans doute aussi pleurer sa gloire, dans une classe élémentaire au collège de Beauvais. A la vérité cette maison célèbre avait vu le vénérable auteur du Traité des Études consacrer

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avec joie sa vieillesse à l'instruction de l'enfance; l'apprenti professeur pouvait se rappeler encore

que Bossuet, surchargé des palmes de l'éloquence, laissait venir à lui les petits enfans de son diocèse, et leur faisait le catéchisme. Mais la candeur, la tendresse de cœur qui donnaient des jouissances de père à un maître tel que Rollin, mais la simplicité évangélique qui portait l'aigle de Meaux à descendre des hauteurs du génie pour se mettre à la portée du premier âge, ne sont ni des penchans de jeune homme, ni des vertus d'écolier. Delille eut à dévorer plus d'un dégoût et plus d'une amertume dans ce début, si peu d'accord avec ses pensées de gloire du concours général. Heureusement il commençait avec Thomas, son compatriote, une de ces amitiés de toute la vie, qui sont des présens du ciel à la vertu. Thomas lui avait inspiré l'amour de la poésie; électrisé par ce maître habile, et enthousiaste du beau, le Thompson futur, alors simple répétiteur d'une classe élémentaire, trouvait encore pour donner le change à des ennuis inévitables les ravissemens de la composition poétique, et ce décevant espoir d'une renommée, le plus vif aiguillon du talent qui a la conscience de son avenir.

Nous ne suivrons pas Delille au collège d'Amiens et à celui de La Marche. Les souvenirs du temps ne nous ont rien transmis de remarquable sur le mérite de son enseignement. On pourrait même admettre que, passionné pour le bel art dont il

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