Imagens das páginas
PDF
ePub

on peut s'en convaincre en observant les aliénés de Bicêtre et de Charenton; dans mon établissement, sur trois cent trente malades, je n'en ai vu que trois qui se soient livrés à l'excès du vin et des liqueurs, et je crois que l'un d'eux ne s'y livrait que parce qu'il était déjà aliéné. L'abus du vin, de l'eau-de-vie conduit au suicide ou à la démence. Ne serait-ce pas cette cause qui produit tant de suicides chez les Anglais?

La considération sur les professions et la manière de vivre nous ramène à l'étude des mœurs, relativement à l'aliénation mentale, qui, de toutes les maladies, est celle dont la dépendance des mœurs publiques et privées, est la plus manifeste.

M. de Humboldt dit avoir vu très peu d'aliénés parmi les sauvages de l'Amérique. M. Carr, dans son Eté du Nord, assure qu'on en rencontre rarement en Russie, si ce n'est dans les grandes villes. En France, il y a moins de fous dans les campagnes que dans les villes. Les campagnards sont plus propres à contracter la folie religieuse ou érotique. Chez eux, la folie est causée par les passions simples, par l'amour, la colère, les chagrins domestiques, tandis que, dans les villes, elle est produite par l'amour-propre lésé, l'ambition trompée, les revers de fortune, etc. Les mœurs moins dépravées des Anglo-Américains sont une des causes pour lesquelles il y a moins d'aliénés chez eux qu'ailleurs, d'après le rapport des voyageurs et aussi d'après peu d'aliénés admis dans leurs hospices.

le

1 L'ivrognerie est quelquefois un symptôme de folie: j'en parlerai à l'occasion de la Médecine légale des Aliénés, t. II.

En Angleterre où se trouvent réunis tous les travers, tous les excès de la civilisation, la folie est plus fréquente que partout ailleurs. Les mariages mal assortis ou contractés entre parens, surtout dans les familles où il y a des dispositions héréditaires à la folie; les hasards des spéculations lointaines, l'oisiveté des ri ches, l'habitude des boissons alcooliques, sont les causes qui multiplient la folie en Angleterre. « Tout dégénère entre les mains de l'homme, >> a dit J.-J. Rousseau. Sans doute la civilisation occasionne des maladies, augmente le nombre des malades, parce que, multipliant les moyens de sentir, elle fait vivre quelques individus trop et trop vite. Mais plus la civilisation est perfectionnée, plus la vie commune est douce, plus sa durée moyenne est longue aussi n'est-ce pas la civilisation qu'il faut accuser, mais les écarts, mais les excès de toute sorte, qu'elle rend plus faciles.

Les mœurs des Italiens rendent la mélancolie religieuse et l'érotomanie très fréquentes en Italie. L'ignorance du moyen âge multiplia alors la démonomanie, le vampirisme, qui maintenant sont relégués dans l'extrême nord de l'Europe ou dans quelques contrées que la civilisation n'a pas encore éclairées de ses lumières, ni enrichies de ses bienfaits.

Depuis trente ans, les changemens qui se sont opérés dans nos mœurs en France, ont produit plus de folies que nos tourmentes politiques. Nous avons changé nos antiques usages, nos vieilles opinions, contre des idées spéculatives et des innovations dangereuses. La religion n'intervient que comme un usage dans les actes les plus

solennels de la vie; elle n'apporte plus ses consolations et ses espérances aux malheureux; la morale religieuse ne guide ples la raison dans le sentier étroit et difficile de la vie; le froid égoïsme a desséché toutes les sources du sentiment; il n'y a plus d'affections domestiques, ni de respect, ni d'amour, ni d'autorité, ni de dépendances réciproques; chacun vit pour soi; personne ne forme de ces sages combinaisons qui liaient à la génération future les générations présentes. Les liens du mariage ne sont plus que des hochets dont se pare le riche par spéculation ou par amour-propre, et que néglige le bas peuple par dédain pour les ministres des autels, par indifférence et par libertinage. Ces déplorables vérités m'ont empêché de tenir compte de l'état de mariage, de célibat ou de veavage parmi les femmes qui entrent dans notre hospice, et, par conséquent, de pouvoir apprécier chez elles l'influence du mariage sur la production de l'aliénation mentale. Près d'un quart des personnes admises dans mon établissement étaient célibataires vingt-six seulement étaient veufs, Ayant eu à faire à beaucoup de militaires, à plusieurs étudians, on ne scra pas étonné de cette proportion de célibataires dans la classe élevée.

L'altération de nos moeurs se fera sentir d'autant plus long-temps que notre éducation est plus vicieuse. Nous prenons beaucoup de soin pour former l'esprit, et nous semblons ignorer que le cœur a, comme l'esprit, besoin d'éducation. La tendresse ridicule et funeste des parens, soumet aux caprices de l'enfance la raison de l'âge mûr. Chacun donne à son fils une éda

cation supérieure à celle qui convient à sa position sociale, à sa fortune; en sorte que les enfans, méprisant le savoir de leurs parens, dédaignent la censure de leur expérience. Accoutumé à suivre tous ses penchans, n'étant point façonné par la discipline à la contrariété, l'enfant, devenu homme, ne peut résister aux vicissitudes, aux revers dont la vie est agitée. A la moindre adversité, la folie éclate, notre faible raison étant privée de ses appuis, tandis que les passions sont sans frein, sans retenue. Que l'on rapproche de ces causes la manière de vivre des femmes en France, le goût effréné qu'elles ont pour les romans et pour la toilette, pour les frivolités, etc. la misère, les privations des classes inférieures; on ne s'étonnera plus du désordre des mœurs publiques et privées, ou n'aura plus le droit de se plaindre si les maladies nerveuscs, et particulièrement la folie, se multiplient en France: tant il est vrai que ce qui tient au bien moral de l'homme, a toujours de grands rapports avec le bien-être physique et la conservation de la santé.

Nous croyons aussi, avec Pinel, qu'une sévérité outrée, que des reproches pour les plus légères fautes, que des duretés exercées avec emportement, que les menaces, les coups exaspèrent les enfans, irritent la jeunesse, détruisent l'influence des parens, produisent des penchans pervers et même la folie, surtout si cette dureté est l'effet des caprices et de l'immoralité des pères. Ce système de sévérité est moins à craindre aujourd'hui que celui dont nous avons parlé plus haut, principalement dans la classe aisée et riche.

La dépravation des esprits et des mœurs, qui se perpétue par les vices de notre éducation, par le dédain pour les croyances religieuses et par le défaut de morale publique, exerce son influence sur toutes les classes de la société. Mais comment se fait-il qu'on n'ait cessé de déclamer contre la classe élevée, et d'exalter les vertus du peuple? Ces philosophes déclamateurs vivaient avec les grands qu'ils calomniaient, et ne connaissaient pas le peuple. S'ils eussent étudié les mœurs de leur pays, ils se seraient convaincus que la corruption est plus générale, plus grande, plus hideuse dans la classe la plus inférieure; qu'elle enfante presque tous les maux de la société; qu'elle donne naissance à beaucoup de folies, en même temps qu'elle produit beaucoup plus de crimes que dans les classes supérieures. Les vices de l'éducation des classes élevées, le défaut d'éducation des classes inférieures, expliquent ces différences : l'éducation supplée aux mœurs chez les premières; aucun motif ne suspend le bras du bas peuple.

Si la forme du gouvernement influe sur les passions et les mœurs des nations, il ne faut pas être surpris qu'elle exerce quelque influence sur la production et le caractère de la folie. Scott, compagnon de lord Macarthney, n'a vu que très peu de fous en Chine: tous les voyageurs assurent qu'il y en a moins qu'ailleurs en Turquie, en Espagne, au Mexique; c'est, disent les Anglais, parce que ces pays gémissent sous le despotisme qui étouffe les lumières et comprime les passions. D'un autre côté, le gouvernement républicain ou représentatif, en mettant plus en jeu toutes les passions, doit,

« AnteriorContinuar »