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autres affections, et les soldats suisses et écossais se tuent, s'ils ne peuvent déserter.

Combien de lypémaniaques, qui se croient poursuivis par des voleurs, des voleurs, par des agens de l'autorité, se tuent voulant éviter de tomber dans leurs mains! les uns ne calculant nullement le danger qu'ils courent pour s'échapper; les autres préférant une mort certaine aux tourmens et à l'infamie qu'on leur prépare. Combien qui se croient trahis par la fortune, par leurs amis, se tuent, après avoir lutté plus ou moins longtemps! ils se tuent comme les hommes qu'une passion pousse lentement à l'homicide de soi-même.

M..., âgé de 43 ans environ, après s'être beaucoup fatigué dans l'exercice des fonctions publiques qui lui sont confiées, est victime d'une injustice; aussitôt il devient aliéné; on le conduit, malgré lui, dans une terre; alors il se persuade que sa femme l'a dénoncé, et qu'il est perdu auprès du gouvernement. Le lendemain, il s'enferme dans son cabinet, place le canon d'un fusil de chasse dans sa bouche, et avec un pistolet d'arçon, fait partir la détente. Heureusement, la direction du fusil est dérangée, la charge s'échappe par la joue, et renverse le malade. Ses parens accourent; M... refuse toute espèce de secours. Cependant on le saigne, on le panse; et quoiqu'il se prête mal aux soins qu'on lui donne, la plaie tend à se cicatriser; le malade témoigne la haine la plus violente pour sa femme, ce qui, joint au délire et aux menaces de se tuer, détermine sa famille à l'envoyer à Paris. A son arrivée, la plaie n'est pas encore cicatrisée, le malade est triste, rêveur; il

parle peu, se promène comme un homme préoccupé, porte souvent la main à sa tête; la face est quelquefois rouge, le teint janne, la constipation opiniâtre, insomnie; cependant M... assure qu'il n'a aucun mal, rejette tout remède, reçoit mal les médecins; il est très calme en apparence, raisonne très juste, mais il menace de temps en temps de se précipiter par les croisées, surtout lorsqu'on lui parle de sa santé. Après quinze jours, malgré la surveillance la plus active, M... s'échappe de son hôtel, on le trouve précipitant ses pas vers les quais écartés du centre de la ville, allant se jeter dans la Seine. Il est alors confiée à mes soins. Après cinq mois d'isolement, de calme apparent, M... éprouve des douleurs d'entrailles, de la céphalalgie qui s'exaspèrent tous les deux jours, il refuse tout remède, ne sort point de son appartement, ne prend nulle part à la vie commune, ne se distrait ni par la lecture, ni par l'occupation manuelle. Néanmoins, il me reçoit assez bien, cause volontiers sur toutes sortes de sujets, excepté sur sa maladie, sur sa femme, et sur un cousin qui l'a empêché de se précipiter dans la rivière. Dès que j'essaie l'un de ces trois sujets de conversation, les yeux du malade s'enflamment, sa face se colore, il quitte son fauteuil, se promène à grands pas, impatienté, et prêt à se laisser aller à sa colère. Pendant le cours du cinquième mois de l'isolement, sixième de la maladie, M... me parut plus accessible à la distraction. Il s'était décidé à jouer aux dames dans son appartement, il avait consenti à prendre une boisson laxative. J'engageai sa

femme à lui faire une visite avec ses enfans, en l'avertissant toutefois que les préventions contre elle n'étant point détruites, la réception serait peut-être très pénible, mais qu'une commotion morale pouvait être très utile. Le jour convenu, madame M.... et ses enfans, sans être annoncés, se présentent chez le malade. Celui-ci s'écrie aussitôt, avec un geste menaçant : « Retirez-vous, madame, retirez-vous... » Le courage de cette femme si dévouée à son mari n'y tient point, elle se trouve mal, il faut l'emporter hors de l'appartement; son mari retient une partie de ses enfans, leur parle contre leur mère et les renvoie bientôt après. Je reste seul avec le malade qui se promène à grands pas, comme un furieux qui n'a même pas de parole. Après quelques minutes, il vient à moi qui suis resté immobile, me saisit au collet, et me répète plusieurs fois : « Que faites-vous là comme un terme, vous ne sentez donc rien?... -Comment ne serais-je pas ému de ce dont je viens d'être le témoin?... » La marche précipitée du malade recommence; après une demi-heure, il s'étend sur son lit, je le laisse seul; une heure plus tard, il s'asseoit, j'arrive : « Hé bien! lui dis-je en l'abordant, vous êtes plus calme, entendrez-vous la vérité? Avez-vous pu traiter ainsi une femme qui vous adore? Votre femme est dans un état alarmant, est-ce le prix des consolations qu'elle vous apportait? Quels doivent être vos regrets!... » Le malade garde un morne silence, mais il est profondément ému. Le soir, je lui annonce que j'ai reconduit madame chez elle et que je l'ai laissée très souffrante; même silence. Deux jours

après, M... voit ses enfans et leur parle contre leur mère; le même jour, j'annonce à M... que sa femme est très mal et que son état est le résultât de la récep tion qu'il lui a faite. Le cinquième jour, il voit ses enfans, et ne leur parle point de leur mère. Dans la journée, il me demande à aller voir sa femme. « Vous ne la verrez point, monsieur, lui dis-je, voudriez-vous aggraver encore le fâcheux état où vous l'avez mise?» Ces paroles sont prononcées avec un ton positif. Sixième jour, visite de ses enfans, M... est plus affectueux et demande des nouvelles de leur mère; dans la soirée, je lui annonce que la santé de sa femme s'améliore. Septième jour, M.... me témoigne quelques chagrins de ce qui s'est passé, et nous causons sur le ton de la confiance. Il me demande à aller voir sa femme, j'y consens; à l'heure du dîner, il déclare qu'il dînera chez lui, et m'envoie une lettre pour m'inviter; pendant les heures qui précédèrent et suivirent le dîner, M... parlait avec sa femme et ses enfans de choses générales et indifférentes; mais de temps en temps, il adressait à sa femme des reproches et des injures, mais à voix si basse et avec tant de précaution que ses enfans ne pouvaient s'en apercevoir. A dix heures, je me rends chez M..., il paraît gai, m'accueille avec l'apparence du contentement et nous nous retirons ensemble. Deux

jours plus tard, M... rentre dans sa famille, où il est pendant quelques jours très irascible, très difficile avec sa femme, très affectueux pour ses enfans, ses parens et ses amis qui viennent le voir; peu de mois plus tard, il est appelé à remplir des fonctions très importantes; il

supporte les inquiétudes, les fatigues et les menaces auxquelles furent exposés quelques fonctionnaires publics, dans les premiers instans de l'invasion de 1814. Quelque excellente que fut la santé de M..., quelque importantes que fussent les fonctions qu'il avait à remplir, il ne voulait point entendre parler de la terre où il avait fait les premières tentatives de suicide; il ne voulait point que sa femme et ses enfans y allassent, et ce ne fut qu'un an après sa guérison, qu'ayant envoyé avant lui d'abord sa femme et ses enfans, il retourna dans sa province.

Un ecclésiastique avale, par distraction, le cachet d'une lettre qu'il vient de recevoir; un de ses amis lui dit en riant vous avez les boyaux cachetés. Cette idée s'empare de l'imagination de cet ecclésiastique, et, au bout de deux jours, il refuse toute nourriture, convaincu qu'elle ne peut passer. On fit prendre au malade, dit Darwin, des purgatifs qui le purgèrent abondamment sans le guérir. On parvient d'abord avec peine à lui faire boire quelque peu de bouillon; il cesse bientôt de vouloir avaler, et meurt peu après. Est-ce lå une erreur de la volition, comme le prétend Darwin? Barclay n'eût-il pas dit qu'il y a une association vicieuse des idées qui a conduit à une détermination funeste?

On n'a pas assez distingué l'ennui de vivre, de la haine de la vie, lorsqu'on a voulu remonter aux motifs déterminans du meurtre de soi-même; cependant, ces deux états de l'âme sont bien différens. La haine de la vie est un état actif; elle suppose une sorte d'irritation, et l'exaltation de la sensibilité. L'ennui de vivre est un

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