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certes, les animaux sont loin d'être pareils aux horloges, au flûteur automate, au canard mécanique de Vaucanson. Le chien frappé jette un cri de douleur, donc il est sensible; donc le système de Descartes est ici contraire à la nature; donc, le P. Mallebranche eut le double tort de donner un coup de pied au ventre de sa chienne pleine, et de dire au visiteur qui lui fit aussitôt des reproches, ça ne sent rien? Les cris plaintifs de la pauvre bête sont restés sans écho dans cette conscience doublée du cartésianisme le plus pur.

Tout ce qui a trait au principe régulateur de la matière modelée ou organique se résume en un terme absolu, l'instinct. Espèce d'âme du sentiment, l'instinct, toujours fatal et nécessaire, préside aux conditions de la vie : l'esprit, électif et contingent, préside à la pensée. L'instinct n'égale pas l'intelligence devant la sensation : jamais la fonction sensorielle seule ne produit une idée. L'animal voit, ne sait pas qu'il voit, et cependant il utilise la vue aux besoins de l'existence: c'est là une destinée, inévitable, préétablie. L'homme voit, sait qu'il voit, et il se sert de la vue, sensation terminée, pour connaître, juger, perfectionner, découvrir les faits, les idées; c'est la preuve irréfragable du libre arbitre. L'instinct au lieu de l'intelligence paraît proportionnel à la quantité cérébrale; plus on s'élève dans l'échelle des êtres vertébrés et plus on observe que le volume du cerveau se trouve en rapport avec la puissance instinctive.

Les rayons de l'esprit humain pénétrent l'instinct de l'animal soumis à l'éducation; le cerveau des bêtes reproduit fidèlement ce qu'il a acquis comme la glace reflète l'image; c'est ainsi que l'homme retrouve son ouvrage intellectuel dans la brute soumise à l'instruction. Oubliant cette origine de la sensation animale perfectionnée par l'idée humaine transmise, on se trompe généralement; chacun prend l'image pour l'idée; chacun accorde une âme (1) à la véritable bête.

(1) Le texte sacré dit: Producat terra animam viventem in genere suo, jumenta et reptilia, et bestias terræ ; secundum species suas, factumque est ita ( Genes. c. I. v. 24. ) L'explication des âmes vivantes ne

L'enfant reçoit aussi les rayons de l'intelligence; mais intelligent lui-même, il ne se borne pas à les réfléchir purement et simplement; il les combine, il les associe, il acquiert de nouvelles pensées, il forme un tout qui lui est propre, et encore, il transmet le fruit de ses observations et de son expérience aux êtres de son espèce. Une brute n'apprend rien à une autre brute; elle n'a jamais rien ajouté à l'œuvre de la création. Au sein de sa famille le petit des animaux vit isolé; il parcourt les degrés d'un cercle clos: l'abeille construit ses hexagones réguliers comme la première abeille; l'hirondelle ne perfectionne pas son nid, le castor sa cabane, le renard ses ruses : toute l'industrie, tout le savoir des bêtes furent réglés à l'avance. En effet, on peut à loisir faire exécuter aux animaux les actes mécaniques qui sont les attributs de l'instinct natif : voir l'araignée filer sa toile, le ver à soie son cocon, l'oiseau bâtir son nid, avec une industrie parfaite, bien que séquestrés dès

fait pas défaut, Moïse ajoute dans un autre point, Sanguis eorum pro anima est. Relativement aux doutes élevés sur l'âme des bêtes, saint Augustin dit : « Quod autem tibi visum est non esse animam in corpore viventis animalis, quamquam videatur absurdum, non tamen doctissimi homines, quibus id placuit, defuerunt neque nunc arbitror deesse. (De quantilate animæ, c. 30.) L'absence de sentiment et de connaissance chez les bêtes serait une hypothèse d'Aristote, suivant le P. Pardies. Consultez sur cette question, Boulier, Essai philosophique sur l'âme des bêtes. Leroy, Lettres philos. sur l'instinct des animaux, etc.- P. Bonjean, Amusem. philosophique sur le lang. des betes. - Histoire naturelle des mammifères de F. Cuvier, et le résumé analytique de l'instinct et de l'intelligence des animaux par M Flourens opposé aux idées de Descartes, de Buffon, etc.

L'âme des bêtes a occupé l'esprit des métaphysiciens, très peu celui des physiologistes. On a beaucoup raisonné et fort peu expérimenté sur la puissance active de l'animalité. En histoire naturelle, le raisonnement dépourvu d'observation et d'expérience est complétement vide : les idées ne remplacent pas les faits: la nature a des droits superbes, imprescriptibles.

Dans une série de recherches, encore inédites, j'ai trouvé que la force vitale et la sensibilité, sont synonymes la force vitale n'est pas un être de raison, elle a sa raison d'être dans la sensibilité. Ce puissant moteur des organismes a deux degrés : la sensibilité organique, pure et simple, capable d'entretenir la vie des plantes, des zoophites, enfin, de tous les animaux invertébrés inférieurs, n'est pas soumise ou dressée; on

leur naissance; bon chien chasse de race, et notez bien qu'il chasse sans éducation des siens, mais par l'excellence d'une organisation perfectible qui a été soumise dans ses parents à une éducation préalable. L'instinct perfectionné de l'animal est un mécanisme supérieur dont on oublie le grand ressort, l'intelligence humaine.

Doué du libre arbitre, l'homme règle lui-même les conditions de son existence. Le sauvage le plus grossier pense, parle et se couvre de vêtements; il sait creuser un canot et le diriger malgré les écueils et les bancs de la mer irritée, alors qu'il cherche d'améliorer son triste sort sous un ciel moins terrible. De tous les animaux, le plus semblable à l'homme examinę ces préparatifs sans les comprendre, car il ne les imite pas; le singe reste enchaîné sur le rivage, près d'une maigre pitance, exposé aux vicissitudes atmosphériques, c'est qu'il est privé de la faculté de penser: jamais il ne tire une idée de la situation présente.

l'observe, on expérimente sur elle sans jamais imprimer une autre marche à la direction suivie et primordiale : toute éducation est nulle, sans effet.

Le sentiment, degré supérieur de la sensibilité, forme l'instinct, et le sentiment devient perfectible: c'est l'âme des bêtes. La perfection progressive comporte: 1o L'instinct natif, principal moteur de toutes les merveilles de l'industrie animale; côté sensible de l'animalité, constituant le champ d'observation des naturalistes; 2° L'instinct dressé ou soumis, tantôt apprivoisé, tantôt domestique, alors que l'animal quitte la férocité, la sauvagerie originelles, et se plie à la volonté de l'homme : c'est la première ligne des expériences; 3° L'instinct spiritualisé, quand l'animal reproduit les signes de la pensée, soit en paroles, soit en actions, sans jamais comprendre rien à ce qu'il dit, ni à ce qu'il fait. On le voit exécuter fidèlement et machinalement tous les exercices qui lui ont été enseignés, et comme le sentiment instinctif perfectionné le presse d'agir et de parler sans un nouveau commandement, on s'est fourvoyé en prenant pour actes intellectuels spontanés, les actes instinctifs spiritualisés. L'intelligence de l'homme n'a prise absolue sur l'instinct animal qu'après avoir préalablement modifié l'organisation, ainsi que je l'ai prouvé ailleurs. Les organismes les plus perfectibles possèdent le sentiment le plus élevé : un chien, un cheval, etc., ont l'instinct spiritualisé.

La structure modifiable, modifiée; l'instinct perfectible, perfectionné tel est le pouvoir de l'homme sur les animaux.

Le souvenir chez les bêtes est un phénomène de réminiscence qui retrace l'ébranlement nerveux antérieur signalé par Buffon, rien de plus. La mémoire est une faculté de l'âme qui utilise tantôt l'ébranlement nerveux sensoriel, tantôt une virtualité passée de l'intelligence. Fondée sur les sensations, la mémoire des idées objectives plus tenace que le rappel des idées subjectives se perd parfois avec l'âge, ou bien après un coup violent, une chute sur la tête; mais l'esprit reste toujours: nul doute que la disposition moléculaire au point contus du cerveau ne soit altérée ou changée. Il y a d'ailleurs une différence extrême de cohésion de la pulpe cérébrale des enfants, des adultes et des vieillards. La mémoire s'établit en sens inverse du jugement et de l'âge; plus on est jeune, plus on perfectionne la matière, le mobile des sensations, et moins on s'occupe de développer le jugement. Voilà pourquoi la génération actuelle, plongée dans les escrimes de l'esprit, avec l'arme du souvenir, est pauvre de grands penseurs et riche d'avocats scientifiques.

La réminiscence, phénomène mécanique, est utile à la vie; la mémoire, phénomène intellectuel, favorise à la fois les conditions de la vie et les actes de la conscience. Quant à l'existence, tout a été réglé dès le principe. Les organes des sens exécutent leurs fonctions à notre insu et à l'instar du cœur, des poumons, de l'estomac, enfin, de tous les autres viscères. L'homme voudrait ne pas voir le tableau placé devant ses yeux ouverts qu'il serait forcé de le voir, parce que la vue s'exerce malgré sa volonté, en dehors de son âme. Il en est de même de l'ouïe, du goût, de l'odorat et du tact, sensations terminées, et non pas transformées.

L'activité des sens ne se lie pas seulement chez l'homme à la cause finale des conditions d'existence, comme dans le règne animal: elle sert à l'instruction; elle mène à de plus hautes destinées; elle rattache l'univers à l'esprit humain; elle provoque dans l'humanité, l'incarnation mystérieuse de la nature. Soutenu par le génie de l'homme, le sens visuel a fait découvrir les rouages de la mécanique céleste et ses lois immuables. Un animal regarde les cieux sans en

comprendre la majesté; l'écriture, signe de la pensée, sera toujours pour lui lettre close; ses organes ont été institués seulement pour nous imiter, pour vivre et se reproduire.

Appliqués aux besoins de la vie les sens sont infaillibles, mais ils deviennent sujets à l'erreur dans les sciences, objets de pure curiosité. Il importe peu à la civilisation, au bonheur et à la vie matérielle de l'homme que l'observation fasse voir pendant des siècles d'ignorance le soleil tourner autour de la terre. La connaissance des objets infiniment éloignés, comme de ceux infiniment petits, nou soblige d'armer l'œil soit du télescope soit du microscope, instruments qui sont la vue du génie.

Un sens mieux employé corrige les erreurs d'un sens mal dirigé. L'aveugle né, opéré de la cataracte par Cheselden, croyait toucher avec ses yeux les objets d'alentour : le toucher réel vint réparer cette aberration visuelle momentanée. La main de l'homme est un merveilleux instrument pour acquérir des connaissances exactes, pour corriger les écarts de l'esprit. Le tact paraît le sens par excellence : il est le plus répandu dans la nature vivante. La sensibilité est placée sur les limites du monde des esprits et du monde des corps: elle instruit les premiers de l'existence des seconds. La sensibilité organique suffit aux végétaux, et encore à tous les invertébrés, jusqu'à l'apparition des organes des sens circonscrits ou limités, c'est alors que l'instinct, espèce de moi inné, plus actif que la sensibilité générale à veiller à la conservation, paraît entrainer la formation des sociétés animales rudimentaires. Plus les organes des sens sont nombreux et perfectionnés et plus on s'élève dans les degrés de la sociabilité. Les assemblées humaines vont au delà des sensations; dans leur mécanisme on observe que la relation de l'idée à la sensation se traduit par des signes: le signe rappelle l'idée, facilite les rapports sociaux.

L'état perfectible des sens est une qualité précieuse dont seul l'homme tire parti: il modifie son corps, il change surtout pour mieux l'ajuster à ses besoins, l'organisme animal; quant

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