langue, la bouche et les lèvres. Le nez, les sinus frontaux, maxillaires et sphénoïdaux sont des cavités de résonnance. Organe producteur du son, le larynx est un instrument à anche dont la glotte forme les deux lèvres membraneuses et vibratiles. Une section en travers et au-dessous de la glotte, coupe la voix tout net; une section transversale au-dessus des cordes vocales n'empêche pas le son d'être produit : double expérience qui se lie aux vibrations empêchées ou libres des ligaments inférieurs de la glotte. La soufflerie de l'instrument de la voix ressemble assez à la soufflerie d'un instrument à vent : ici le mécanisme de compression est aux parois de la poitrine, le soufflet aux poumons, le tuyau porte-air à la trachée et aux bronches, enfin le son à la glotte. L'insufflation de la trachée, seulement même de l'ouverture inférieure du larynx produit des sons. Quant à la parole (verbum), faculté d'exprimer ses pensées par la voix articulée, l'exercice vocal se complique d'une intonation nouvelle, réglée, philologique. Modifié aux narines, le son éprouve encore à la cavité buccale des articulations variées au moyen de la langue et des lèvres. Dans la voix humaine, l'air de la trachée et des poumons devient son à la glotte et parole à la bouche. La voix arrive durant l'expiration, quelquefois pendant l'inspiration : ce double phénomène est également propre à l'homme et aux animaux. Buffon observant le chant du coq et le bèlement de l'agneau inclinait à croire que la voix des bêtes eùt lieu pendant l'inspiration. Indépendamment du son et de la parole, l'homme possède la faculté de siffler : alors la bouche forme le réservoir de l'air, et le bruit de sifflet modifiable peut être produit entre les lèvres, comme au travers d'une ouverture inorganique. La puissance nerveuse qui permet le jeu de l'instrument de phonation se compose pour la voix simple des nerfs laryngés et recurrents; la section de ces nerfs entraine l'aphonïc : pour la voix articulée, du grand hypoglosse qui donne les mouvements de la langue, et du nerf facial dont certains rameaux se distribuent aux lèvres afin de régler les articulations labiales, Aucun nerf ne joint le sens de l'ouïe à l'instrument des sons ; le cerveau leur sert de moyen intermédiaire. La physiologie comparée démontre qu'une seule pièce organique changée à l'instrument de la voix éteint le son. L'aphonie des poissons tient particulièrement à l'absence de l'appareil vocal; chez les tortues terrestres, à l'immobilité de la cage thoracique incrustée entre la carapace et le plastron; chez les serpents, à la grande tension et au petit intervalle des cordes vocales; l'air comprimé avec force passe vite en sifflant. Par quelle raison plusieurs amphibiens pourvus des organes pulmonaires et laryngés sont-ils aphones? Les oiseaux ont un double larynx, sans former un double son. Cuvier prouve dans un mémoire fort remarquable que les cordes vocales du larynx inférieur , situées à la bifurcation de la trachée-artère, constituent la véritable glotte : le larynx supérieur est nul pour la voix. La compression des parois très élastiques de la poitrine de plusieurs oiseaux provoque le son. J'ai obtenu après la mort du cormoran un son grave presque semblable au timbre naturel de la voix pendant la vie. Organisé sur le plan humain, l'instrument vocal des mammifères produit la voix simple, et détermine des cris auxquels on donne des noms particuliers. Pourquoi la voix articulée leur fait-elle défaut ? « On parle parce que l'on pense , dit Buffon, et non parce que l'on a des organes pour parler. » Tout ce qui pense possède une langue parlée ou la parole, une langue par gestes ou la mimique (1), et ordinairement une langue écrite ou l'écriture : triple avantage intellectuel, organique et social, propre à l'homme, étranger aux ani (1) L'imitation par gestes des discours est un progrès réel de la transmission des idées. Les Romains ont donné le nom de mime , grimacier, au talent de contrefaire le langage avec le jeu de la physionomie et avec d'autres mouvements expressifs du corps. Fondé sur la mimique, l'alphabet dactyle doit être rangé parmi les plus grandes découvertes : il a replacé dans le monde les sourds-muets, comme s'ils étaient dotés de l'ouïe et de la parole. L'humanité est redevable de l'alphabet artificiel perfectionné au vénérable abbé Sicard. Déjà l'abbé de l'Épée et Rodrigues Pereire avaient commencé l'éducation des sourds maux, bien qu'ils aient des membres pour imiter nos gestes raisonnés, un larynx capable de former des sons, une langue disposée à les articuler, et même un cerveau, miroir organique des idées; mais le cerveau manque d'âme, instrument de la pensée ; voilà pourquoi l'organisme animal reste , est resté et restera toujours impuissant de penser, de parler et d'écrire de lui-même (proprio motu). Quant à l'appareil de phonation, comme il est identique chez l'homme et chez les mammifères, le mécanisme doit être semblable pour tous : en effet, le son survient spontanément lorsque l'air passe à travers la glotte. La disposition de l'instrument vocal est si bien réglée que la voix simple, purement mécanique, peut être artificiellement modulée un peu après la mort comme pendant la vie. La voix simple, son vocal, est par conséquent un don de nature. Sous l'influence du sentiment, elle en éprouve toute la mobilité, toute la flexibilité, tout le charme. Les plus belles mélodies viennent du caur. L'instinct préside donc au chant naturel ; il peint le sentiment dans la voix. Qui n'a pas été ému, attendri, en écoutant les accords harmonieux et brillants de ce petit être empenné du bocage ! Le chant marque la passion et non la pensée. On chante sans penser; impossible de parler sans penser. C'est pourquoi aucun animal n'articule spontanément le son ; c'est pourquoi la voix articulée n'est pas instinctive, libre comme le son vocal. De la parole au chant il y a toute la distance de l'intelligence à l'instinct : celui-ci est limité ; celle-là est illimitée. L'intelligence anime la parole, entretient les dialectes qui muets, le premier avec l'écriture, le dernier d'après un système fondé sur les mouvements du larynx et des lèvres. La dactylogie, méthode supérieure aux moyens artificiels de Pereire, est l'art de s'exprimer par des signes formés avec les doigts: langue muette qui s'élève jusqu'à l'éloquence. Dans tout discours, le geste traduit le sentiment qui naît du cæur; la parole reproduit la pensée qui vient de l'âme ; ici, le geste reproduit même la pensée. Au milieu de ses plus grands écarts, la nature laisse toujours place au génie de l'homme. transmettent d'age en âge le fruit de l'éducation : ainsi le cerveau soumis à l'ame commande, le larynx obéit, et l'oreille sert à la fois de régulateur des sons et d'organe éducateur. Un instrument ne fonctionne pas de lui-même, et l'appareil de phonation n'est qu'un instrument. Il faut une cause pour obtenir des effets ou des sons. La production de la voix articulée différe totalement du son, exercice sensoriel. L'appareil laryngo-buccal ne produit la parole que sous l'influence de la volonté; les organes des sons, au contraire, peuvent agir hors de la raison, et leur action est toute spontanée, préétablie. Les premières voix de l'enfance sont des cris instinctifs qui se lient à nos besoins. Aucun enfant ne possède le langage sans apprendre à parler, sans bégayer peu à peu, sous les yeux de sa mère, les premiers mots articulés ; aucun n'a inventé une langue particulière ; tous ont en puissance le changement, les modifications et le perfectionnement des articulations déjà formées; mais changer un dialecte, le modifier et le perfectionner ce n'est pas tout créer, ni inventer la parole. Poursuivant la pensée illusoire d'une langue universelle primitive considérée comme perdue, un roi d'Égypte confia l'éducation de quelques enfants à des nourrices muettes. L'un d'eux ayant prononcé le mot becco qui veut dire le pain, en Phrygie, on se prit à trouver dans l'idiome phrygien la langue-mère originelle. Hérodote attribue cette histoire à Psammétique, et Anquetille à Sesostris. Quoi qu'il en soit, le mot du vocabulaire n'est pas la langue. Un jeune roi de l'Inde eut la même idée que le roi d'Égypte, mais son précepteur, homme de bon sens, le détourna du projet ridicule et insensé de la séquestration de jeunes enfants. On affirme que ce fait singulier était consigné dans un manuscrit latin qui fut brûlé au moment de l'incendie de la bibliothèque de Saint-Germain-des-Prés, à Paris. On doit placer sur le même rang (1) et ces expériences fantastiques et la pasigraphie (1) En philologie on a signalé l'apparition primitive du langage chez les peuplades des régions centrales de l'Asie : là, se trouve le fameux plateau de Pamir, considéré comme le faite ou le dome du monde (Bami-Dunia) ou la recherche d'une écriture universelle. M. Renan (1) dit : « Nos aïeux du XII° siècle prenaient aussi le français pour la langue de tous les humains » ; en voici la preuve : « Un (2) des historiens de saint Louis rapporte qu'un jeune homme né sourd-muet, aux extrémités de la Bourgogne fut guéri miraculeusement au tombeau du saint roi , et se mit incontinent à parler, non la langue de son pays, mais celle de la capitale. » De l'enfant au sauvage, en linguistique, la transition est naturelle. L'homme libre et vagabond semble avoir oublié le dialecte de ses pères, tant il s'est composé avec les autres gens de sa peuplade un patois nouveau et de convention. Le difficile à trouver n'est pas une langue, c'est la parole, signe de la pensée : en effet, penser, parler, écrire sont les trois degrés naturels du mécanisme de la renaissance des langues. Linnée trace l'histoire d'hommes sauvages, solitaires, errants à l'aventure comme les animaux, et rencontrés en société avec les boufs, les loups, les ours, les troupeaux de moutons des solitudes d'Islande. L'homo ferus tetrapus, sachant pour tout langage mugir, hurler, bèler, est une fable capable d'en imposer , même à Condillac; moins crédule, Voltaire (3) fit justice de cette erreur. Comparer l'homme de la nature à l'homme civilisé est une nouvelle faute. Les philosophes modernes ont dépassé les bornes de la vérité, en imaginant la création pure et simple du langage, c'est-à-dire, en le considérant comme une invention semblable à toutes les autres découvertes du génie humain. La formation des langues repose, évidemment, sur deux bases essentielles; l'une est la parole, totalement audessus de nos facultés créatrices; l'autre représente la coordination des sons articulés, l'emploi des signes de la pensée, enfin le langage. Rousseau, Condillac et Volney n'ont pas 1 la , on rencontre le Thian-chan des mongoles : là, enfin, on reporte l'origine Sémitique. (1) De l'origine du langage, Paris, 1858. |