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Béatrix, conductrice de Dante, réfute cette de longs syllogis

explication raisonnable

par

mes farcis de philosophie scolastique.

Un des plus grands abus que Dante ait fait des connaissances de ce genre, consiste à marquer les dates et les temps avec une scrupuleuse exactitude. Il cherche à expliquer tous les phénomènes du ciel, la fixation des temps, l'âge, les phases, le mouvement propre de la lune, ses diverses positions relativement à la terre, au soleil ; il y emploie des circonlocutions ridicules, aussi bizarres que pédantesques et obscures.

Non-seulement il saisit toutes les occasions de faire l'astronome, mais il les fait naître encore où l'on s'y attendait le moins. Il se propose des problêmes d'astronomię, sans autre but que de faire voir son habileté à les résoudre. Au reste, il n'est pas besoin d'avertir que toute son astronomie repose sur le vieux systême des dix sphères célestes, dont sept pour les planètes, une pour les étoiles fixes, une pour le ciel cristallin, et une pour le ciel empyrée. C'est l'ordre dans lequel notre poète voyageur les parcourt; et s'il n'aborde dans la sphère de Vénus qu'après avoir passé celle de Mercure, c'est encore en conséquence de

l'erreur de Ptolomée, qui croyait la première de ces planètes plus éloignée de la terre et plus voisine du soleil que la seconde.

L'astrologie fut singulièrement en honneur dans le siècle de Dante: l'astronomie lui était subordonnée, comme les moyens le sont à leur fin. Quoique les apologistes de notre poète affirment qu'il ne fut point infatué de l'astrologie judiciaire, il est cependant indubitable qu'il adopte les principes et les maximes de cette science bâtarde. Il les tenait de son docteur, Thomas d'Aquin, qui enseigne que les corps célestes, par leurs différens aspects, produisent la génération et la corruption dans le monde sublunaire, et que les génies qui président aux sphères, en font pleuvoir sur nous les bénignes et malignes influences.

Je le vois partout fidèle à cette doctrine. Il dit positivement que le monde d'ici-bas tourne au gré du monde qui roule sur nos têtes; que toutes les vertus du ciel, quoique originairement descendues de Dieu, sont recueillies dans la sphère du premier mobile, et découlent de là, comme par un canal, dans les cieux et dans les élémens inférieurs; que dans cette sphère réside le principe moteur et le grand

rouage où engrènent toutes les autres roues dont la rotation éternelle développe les germes terrestres dans la succession des temps, et les dirige vers leur but; qu'en un mot, les astres règlent la naissance, la vie, la destinée et la mort des hommes. Il soumet à leur influence jusqu'à nos qualités morales; et s'il y a des hommes justes, toute leur justice vient du ciel de Jupiter.

Il se fait lui-même tirer son horoscope en enfer par Brunetto, qui lui prédit son exil et sa gloire future. C'est à la constellation des Gémeaux, sous laquelle il était né, qu'il s'adresse ainsi :

« O gloriose stelle, o lume pregno

» Di gran virtù, da quale io riconosco

» Tutto (qual che si sia) il mio ingegno. »

«Etoiles glorieuses! lumières imprégnées » d'une vertu puissante! je me reconnais rede»vable à vous seules du génie quelconque » qui est en moi. C'est avec vous que monta » et descendit cet astre, père de la vie, lors» que je sentis les premières raisons du doux air de la Toscane. »

Ces vers sont certainement fort beaux, et en général les superstitions astrologiques ne

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gâtent rien dans son poème, parce qu'il ne fait que les effleurer, et ne s'engage jamais dans ces délinéations géométriques, et dans ces supputations de thêmes de nativité, qui donnent à cet amas de préjugés futiles qu'on nomme astrologie judiciaire, un faux air de science. La poésie s'accommode volontiers de ces superstitions, pourvu qu'elles ne soient ni raisonnées, ni calculées, ni systématiques.

Je ne compterai pas sa morale parmi les sciences corruptrices de sa poésie. Ses moralités sont simples, courtes, et leur précision énergique en a fait passer un grand nombre en proverbes et en maximes. Elles naissent du sujet, et n'en sortent jamais pour en faire un corps à part: pathétiques et pleines de feu, elles partent du cœur et vont au cœur. La morale de Dante, assez pure d'ailleurs ne laisse pas d'ètre teinte de certains préjugés que son éducation lui avait fait sucer. C'en était un bien cruel que les injures personnelles devinssent des affaires de famille, et impliquassent dans une guerre commune tous les individus des familles compromises de sorte que de part et d'autre on se poursuivait à toute outrance, et que ces haines atroces ne s'éteignaient que dans des ruisseaux

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de sang. Ce faux et barbare point d'honneur fut en vogue chez les Germains, porté et entretenu en Italie par les moeurs gothiques préjugé funeste dont Dante ne fut pas exempt, témoin sa compassion pour un de ses parens assassiné par un Sacchetti; il fuit notre poète avec dédain, parce que sa mort n'est pas encore vengée sur la race des Sacchetti.

On pourrait, dans sa morale chrétienne, relever encore de certaines contradictions. Après avoir vu les suicides si durement traités dans les forêts sombrés de l'enfer, on doit être étonné qu'il applaudisse hautement au suicidé de Caton. Il dit que son corps mortel, demeuré dans Utique, sera revêtu de gloire et de splendeur, au grand jour de la résurrection.

« Libertà va cercando, ch' e si cata,
» Come sa che per lei vita rifiuta.
» Tu'l sai; che non ti fù per lei amara
» In Utica la morte, ove lasciasti

» La veste ch'al gran di sarà si chiara. »

En général nous observerons ici l'esprit de tolérance de Dante. Ce n'est qu'avec répugnance et à contre-coeur qu'il damne les hommes célèbres; il en sauve autant qu'il peut sans trop heurter les dogmes de son église, Tom. II. Littér.

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