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question Saint Marc avait-il utilisé uniquement saint Matthieu (de mémoire s'entend)? et saint Luc, qui certainement ne s'était modelé sur aucun d'eux, mais pouvait avoir lu les deux autres, avait-il puisé immédiatement à la tradition, ce qui modifiait l'hypothèse avancée par Hug? ou bien fallait-il croire avec Griesbach et avec Saunier (Des sources où puisa saint Marc. Berlin, 1825) que saint Marc utilisa saint Matthieu et saint Luc de mémoire ? Cette dernière opinion a été embrassée par Paulus, Theile, Fritzsche, ainsi que par de Wette (Introduction, etc.) et par Olshausen (Bibl. Commentar.), et insensiblement elle a pris le dessus. Une fois qu'on eut à peu près fixé le mode d'explication des concordances et des divergences des Évangélistes, une question nouvelle se présenta, la question d'authenticité et de véracité. L'exégèse naturelle ne suffisait plus, et au contraire de Wette et son école, Lücke, Ruckert, Meyer, etc., ne s'efforçaient qu'à tirer des paroles du texte le sens réel qu'il renfermait, et il ne restait plus que l'hypothèse mythique pour ce qui échappait à l'explication des commentateurs. Cette hypothèse d'agglomération de traditions mythiques avec l'histoire fut développée dans les théories de Gabler (Introduction à l'histoire primitive, d'Eichhorn) de Bauer (Mythologie hébraïque), de Krug (Henke's musaum), de Horst (ibid.), et appliquée aux divers passages des Évangiles par Schleiermacher, Hase (Vie de Jésus) et de Wette. Il n'y avait qu'un inconvénient à cette hypothèse, c'est qu'elle ne pouvait subsister tant qu'on admettait la composition directe de deux Évangiles par les Apôtres. C'est alors que ceux à qui pesaient davantage, et le plus grand mystère de tous, la résurrection, et les prodiges reproduits par la plume de saint Jean, lesquels passaient leur intelligence, c'est alors que ceux-là essayèrent de contester sans détour l'authenticité de saint Jean. Bretschneider, dans ses Probabilien, ouvrit la voie, bien que depuis il ait reculé devant ses premières assertions. Cette nouvelle hypothèse demeura cependant quelque temps à l'état de simple question. Quant à saint Matthieu, depuis Michaelis (Introduction au N. T.) l'opinion s'était répandue de plus en

plus que son Évangile original avait été écrit en araméen et que nous ne possédions qu'une version de seconde main. Ainsi l'on s'était débarrassé, par des procédés fort commodes, de l'un des Évangiles apostoliques; on avait ôté à l'autre au moins le caractère absolu de l'autorité historique, et saint Marc étant regardé comme procédant de saint Matthieu et de saint Luc, il ne restait plus qu'à saper l'origine de ce dernier. Aussi fut-il l'objet des recherches les plus importantes de la part de Schleiermacher (Essai critique sur les écrits de saint Luc, 1817). Il sortit de ce travail le système suivant : Emprunt de la part de saint Luc de morceaux étrangers (Diegesen) venus en sa possession et incorporés à son œuvre évangélique au moyen de légers changemens de style. Ensuite on assigna à ces morceaux une date assez éloignée des événemens pour permettre d'adopter aussi l'introduction de la tradition mythique dans son récit.

Voilà où en était la critique des textes quand parut Strauss. Il s'empara de toutes ces indications vagues et sans précision aucune qui semblaient devoir faire supposer la possibilité du mélange de la tradition mythique avec les quatre Évangiles, et sur ces fondemens sans consistance il bâtit cette hypothèse inouïe qu'il a mise à la place de l'histoire évangélique. L'impression que le rabbin Jésus, ainsi s'exprime l'espèce de roman de Strauss, fit sur ses disciples fut si puissante, qu'ils le regardèrent comme le Messie annoncé par l'Ancien Testament, idée qu'il finit par partager lui-même. Bientôt après sa mort ils se sentirent entraînés involontairement à l'exaltation du maître, et pieusement persuadés que c'était vraiment lui qui était le Messie, ils le revêtirent de tous les attributs de ce Messie, attributs qui lui étaient étrangers. Ils lièrent cette persuasion qu'ils s'étaient créée aux paroles et aux actions réelles du rabbin; l'imagination ajouta à ce fonds, et ainsi se forma un cycle mythique compacte dont les concordances et les divergences, conservées par les quatre Évangiles, indiquent des procédés purement humains de formation. Pour défendre cet audacieux résultat positif, qui n'a pour motif que le désir secret

de se débarrasser de la partie surnaturelle du Nouveau Testament, et qui est en contradiction avec la logique de l'histoire, Strauss eut recours exclusivement à la critique interprétative. Il isola complétement l'une de l'autre la critique des faits et la critique des textes: laissant à celle-ci toute cette favorable indécision qui lui était si commode, il fit usage de celle-là pour démontrer qu'il n'y avait pas seulement dans les Évangiles des impossibilités dogmatiques, mais qu'on y pouvait reconnaître des impossibilités historiques, des contradictions, des anachronismes, des erreurs psychologiques, etc., et en telle quantité que, sans s'arrêter aux impossibilités dogmatiques, on pouvait de prime abord nier le caractère historique. de ce monument. Cette sublime et consolante impression que fait sur toute âme pure, l'éternelle beauté de l'Évangile, Strauss semble y être complétement étranger. C'est de l'ennui qu'il ressent, et c'est par la raillerie qu'il exprime l'effet de cette lecture sur son cœur. Et de peur que la hauteur où sont placées les leçons du Christ n'écrase sa sèche éloquence, il se hâte de ravir au Sauveur tout ce qui lui est le plus propre, sa divine morale, afin de forcer le lecteur à se jeter dans l'hypothèse mythique qu'il vient lui offrir.

Telle est la troisième transformation de la critique évangélique. Mais dans ses efforts pour échapper au caractère essentiellement surhumain des Évangiles, elle ne devait pas s'arrêter là. Strauss avait isolé complétement la critique des faits de la critique des textes, et comme une juste expiation de ces procédés artificiels, son hypothèse mythique, basée sur le doute et l'indécision historique, et qui présentait quelque apparence de réalité pourvu qu'on la laissât dans le demi-jour où elle était née, s'évanouissait dès qu'on en approchait quelque clarté, et la multitude de ses impossibilités se révélait à tous les yeux. Il était réservé à d'autres esprits non moins audacieux de réédifier des hypothèses nouvelles et qui pussent défier l'examen. Gfrærer, dans son Histoire du christianisme primitif, voulut ajouter à Strauss ce qui lui manquait. Il alla le puiser dans la théologie de la Mischna, dans les apocryphes,

qu'il osa placer vers l'époque de la nativité du Christ, afin de disposer, pour les mettre en œuvre, tous les élémens du mythe proclamé par son devancier. Mais les novateurs recoururent à une nouvelle alliance des deux critiques, afin de bâtir sur un terrain plus solide des édifices plus consistans. Et d'abord la critique des textes se reproduisit avec un résultat auquel on ne s'attendait point. Wilke (Chr. G.) prouva (der Urevangelist, Leipzig, 1837), contrairement à l'opinion admise, que saint Marc était le premier Évangéliste, que saint Luc procédait de lui, et saint Matthieu de saint Luc. Cerésultat fut avidement saisi par Weisse et Bruno Bauer, qui le déclarèrent vérité incontestable. Quant à saint Jean, il fut reconnu authentique par Gfræerer, qui néanmoins le soumit aux procédés d'interprétation naturelle; après lui Lützelberger (Leipzig, 1840), Weisse (l'Histoire évangélique, travail de critique et de philologie), Bruno Bauer (critique de l'histoire évangélique de saint Jean, Bremen, 1840), et Schweitzer (Recherches critiques sur l'Évangéliste saint Jean) s'efforcèrent, au moyen de l'interprétation et des rapprochemens historiques, de contester à cet Évangéliste l'authenticité ou au moins l'intégrité. Quelle part la critique des faits eutelle dans ces résultats? La voici. Weisse a cherché à réhabiliter les synoptiques aux dépens de saint Jean. Il retrouve le Christ, suivant ses idées philosophiques, dans les premiers seulement; quant au quatrième Évangéliste, il met son histoire, comme il nous semble l'avoir dit ailleurs, sur le compte des prêtres d'Ephèse, qui s'emparèrent des discours de Jésus après la mort de saint Jean et les encadrèrent dans une espèce de biographie fort défectueuse. Mais Bruno Bauer, dont nous avons vu précédemment la dernière production, le dépassa bientôt. Il reste, il est vrai, dans son incrédulité pour les récits évangéliques, au même point que Strauss: déchirer par lambeaux le tissu de cette œuvre, reproduire les aperçus de Strauss avec le plus de bruit et de mots possible, sans se préoccuper beaucoup des réfutations qui les ont frappés, voilà sa principale mission. Mais à la première hypothèse (car c'en est une bien caractérisée) sur laquelle il appuie tout son système de rai

sonnement, savoir, que les contradictions reconnues par Strauss et qui démentent le caractère historique du texte évangélique, sont toutes parfaitement évidentes; à cette hypothèse il en ajoute une autre, c'est que l'hypothèse de Wilke est inattaquable. Partant de là, il renvoie l'hypothèse de Strauss dans le pays des chimères, et reprenant en main les Évangiles, il cherche à démontrer que tel ou tel synoptique (surtout saint Luc) est un tout complet, parfait et bien harmonisé, et non pas une agglomération de fragmens disparates entassés, et en cela du moins il rend hommage à la sublimité de l'œuvre évangélique, en ce qui regarde la forme matérielle. Mais cette confession il veut la faire bien chèrement payer, car la conclusion qu'il laisse tirer de son raisonnement esthétique est celle-ci cela est trop beau pour être réel. Ainsi, d'une part, il se refuse à voir dans l'histoire évangélique un composé mythique, et de l'autre il déclare impossible d'y reconnaître la reproduction immédiate de faits accomplis. Et comme il doit une explication sur l'origine de cette histoire; tout en se référant aux résultats obtenus par Wilke, il déclare que les Évangélistes ont composé (composer signifie ici inventer) leurs Évangiles avec la conscience parfaite de ce qu'ils faisaient; et pour démontrer comment cela est possible sans qu'on puisse ajouter au nom des Apôtres les titres de trompeurs et de faussaires, car au premier abord il n'y a pas d'autre. solution possible d'un tel énoncé, B. Bauer emprunte au redoutable arsenal de la philosophie hégelienne les raisonnemens les plus abstraits qu'il soit possible de combiner, des raisonnemens à faire reculer le nébuleux Hégel lui-même. Mais quelque intraduisibles que soient ces raisonnemens dans le langage ordinaire, la conclusion par sa simplicité ne saurait échapper à l'appréciation que le bon sens formule à l'instant, et il est triste de penser que l'on remplace le reproche de fraude par celui d'hallucination. Car voilà où tout ce pompeux étalage de formules aboutit, c'est à voir dans l'Évangile le produit de l'hallucination. Attendons, il faut espérer que de progrès en progrès il viendra un critique plus entreprenant que

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