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vailler et de produire, on trouvera qu'il faut donner quelque créance à ses plaintes.

Quant aux autres écrivains du temps, leur situation pécuniaire ne peut laisser place à la moindre hésitation. La plupart menèrent une existence précaire; on a déjà vu leurs plaintes. Quelques-uns, comme Otway et Lee, vécurent tout à fait misérablement; Oldham prend soin d'écrire un long poème pour dissuader de la poésie ceux qui seraient tentés de devenir ses confrères. L'opinion de l'époque sur les profits du métier d'auteur est au surplus parfaitement nette. Voici ce qu'en dit un grand seigneur, le duc de Buckingham, dans une épìtre adressée à un curieux personnage d'alors, le capitaine Julian 3:

« La poésie a été à ce point ton amie que tu as vécu et prospéré

1.

There was a time when Otway charm'd the Stage,

Otway the Hope, the Sorrow of our Age;

When the full Pit with pleas'd attention hung,

Wrapt with each accent from Castalio's Tongue.

With what a Laughter was his Souldier read!

How mourn'd they when his Jaffier struck, and bled!
Yet this best Poet, tho with so much ease,

He never drew his Pen but sure to please;
Tho Lightning were less lively than his Wit,
And Thunder-Claps less loud than those o' th' Pit,

He had of 's many Wants much earlier dy'd,
Had not kind Banker Betterton supply'd,
And took for Pawn the Embryo of a Play,
Till he could pay himself the next third Day.

(A Satyr upon the Poets, being a Translation out of
the 7th Sa yr of Juvenal. Dans Poems on Af-
fairs of State, vol. III, 4703, p. 138 et suiv.)
Cf. la citation d'Otway à la page 114, note 2.

2. Voy. Biographia Britannica, article Lce.

3. Ce capitaine Julian, qui s'intitulait secrétaire des Muses, fréquentait le café de Will, et y distribuait sous le manteau des copies manuscrites de chaque nouveau lampoon (voy. Dryden, Œuvres, édit. W. Scott, XV, p. 222). Ce métier lui donna, dans cette époque féconde en satires, une certaine importance, et son nom est souvent cité dans la littérature d'alors, notamment dans les Poems on Affairs of State:

Now Fop may dine with Half-wit ev'ry Noon,
And read his Satyr, or his worse Lampoon.
Julian's so furnished by these scribbling Sparks
That he pays off old Scores and keeps two Clarks.

(Ravenscroft, prologue de The London Cuckolds.)

The conscious Tub. Tavern can witness, and my Berry-Street Apartment testifie the solicitations I have had, for the first Copy of a new Lampoon,

toute ta vie, bien plus, que tu as soutenu une famille avec des rimes, et c'est un point où Dryden n'a jamais pu atteindre : il vit de sa pension et non de son esprit. Même le charmant George (Etherege)... en évitant un piège, est tombé dans un autre ;.... qui peut être tiré d'embarras une fois marié ? Otway peut à peine sauver ses boyaux de la prison, et, bien qu'il soit très gras, il est près de mourir de faim. Le musical d'Urfey, placé au-dessous des insultes, vit par son impudence et non par les muses. Le pauvre Crown, lui aussi, voit ses troisièmes représentations mêlées d'absinthe; il vit si mal que c'est à peine s'il vit. Shadwell et Settle sont l'un et l'autre féconds en rimes, mais à eux deux ils ne peuvent réunir un rouge liard. Lee lui-même, à Bedlam 1, voit maintenant des jours meilleurs que lorsqu'on applaudissait ses pièces ronflantes, il ne connait pas de souci et ne sent plus l'aiguillon du besoin; et c'est plus qu'il ne pouvait dire autrefois. Ainsi, tandis que nos bardes sont réduits par leur esprit à mourir de faim, toi qui n'en as pas, tu trouves moyen d'en vivre 2. >

from the greatest Lords of the Court; tho their own folly and their Wives Vices were the Subject... And the Love of Scandal and native Malice that Men and Women have to one another, made me in such request when alive, that I was admitted to the Lord's Closet, when a Man of Letters and Merit wou'd be thrust out of doors. (Tom Brown, Letters from the Dead to the Living: From Julian, Late Secretary to the Muses, to Will. Pierre of LincolnsInn Fields Play-House.)

1. Il fut fou pendant plusieurs années.

2.

...

Poetry has been so much your friend :

On that thou'st liv'd and flourish'd all thy Time;
Nay more, maintain'd a family by Rhime;

And that's a Mark that Dryden ne'er could hit.

He lives upon his Pension, not his Wit:

Een gentle George (flux'd both in tongue and purse)
Shunning one Snare, yet fell into a worse.

A Man may be reliev'd once in his Life,
But who can be reliev'd that has a Wife?
Otway can hardly Guts from Gaol preserve,
And, tho' he's very fat, he's like to starve:
And Sing-song Durfey (plac'd beneath abuses)
Lives by his impudence, and not the Muses:
Poor Crown too has his third days mix'd with Gall,
He lives so ill, he hardly lives at all.

Shadwell and Settle both with Rhimes are fraught,
But can't between them muster up a groat:

Nay, Lee in Bethlem now sees better days,
Than when applauded for his bombast Plays;

He knows no Care, nor feels sharp Want no more,
And that is what he ne'er could say before :
Thus while our Bards are famish'd by their Wit,
Thou who has none at all, yet thriv'st by it.

(George Villiers, Duke of Buckingham, A Consolatory
Epistle to Captain Julian The Muses News-Monger, in
his Confinement. Dans Miscellaneous Works.)

Voici maintenant ce que dit le roturier John Dunton, libraire :

Hélas! après tout, quand je vois un homme d'esprit prendre le métier de simple poète.... je le regarde comme un homme perdu, marqué par la destinée pour la souffrance et le malheur 1. »

VIII

Ni argent, ni honneur, voilà en deux mots la situation des écrivains après la Restauration.

Mais faut-il s'en étonner, et pouvaient-ils attendre autre chose de la triste société à laquelle ils eurent affaire? D'autant plus triste, en effet, qu'elle leur inspira et qu'ils fondèrent sur elle les espérances les plus vives et en apparence les mieux justifiées. Comment ne s'y seraient-ils pas laissé prendre? Le roi, jeune et tout-puissant, se piquait de se connaître aux belles choses; les grands seigneurs, épris de littérature au point de se croire tenus d'en faire eux-mêmes, consentaient en quelque sorte à devenir leurs confrères; tout cela n'était-il pas plein de promesses? Mais aucune de ces promesses ne fut tenue: on ne leur donna « que l'espoir ».

C'est que, pour encourager vraiment la littérature, il faut l'aimer pour elle-même; or le beau monde d'alors ne l'aima que pour lui seul. Frivole au premier chef, et ne songeant qu'à prendre du bon temps, il eut, il est vrai, le mérite de mettre les lettres au nombre de ses plaisirs, mais elles ne furent pour lui qu'un plaisir, au sens le plus futile du mot. C'est pour cela qu'il n'aima que les vers et le théatre; et encore n'admit-il dans les vers que les genres les plus légers, de même qu'il rechercha avant tout dans le théâtre la riche mise en scène, la versification éclatante et les peintures licencieuses. Si les gens à la mode se mêlèrent d'écrire, s'ils vou

1. Mr. Settle... But alas! after all, when I see an Ingenious Man set up for a meer Poet... I give him up as one prick'd down by Fate, for misery and misfortune. (Dunton, The Life and Errors, etc., p. 211.)

lurent se poser en juges, ce fut encore pour la satisfaction d'un sentiment personnel, par vanité, pour plaire aux dames, pour se donner un vernis de bel air, pour faire ajouter à leur nom quelques épithètes flatteuses pour leur amour-propre. Quelle idée des gens aussi préoccupés d'eux-mêmes pourront-ils se faire de la littérature? Quel sentiment en aurontils? Évidemment ils en dédaigneront les côtés élevés, auxquels ils se seront rendus incapables d'atteindre; ils pourront être touchés des qualités extérieures d'un vers, de l'harmonie, de l'élégance d'une tournure; ils sauront au besoin exercer leur critique sur le choix des expressions ou sur la conduite d'une intrigue, en un mot sur la forme; mais le fond sera ce qui les préoccupera le moins, et ils se défendront avec soin des émotions trop vives et des admirations trop violentes. Ils proscriront toutes les inspirations sérieuses, la peinture étudiée des caractères et des passions, tout ce qui peut remuer le cœur ou agiter l'esprit; ils ne toléreront même l'amour que sous la réserve qu'il restera un sentiment sans profondeur et sans conséquence. En revanche, ils accueilleront les œuvres les plus frivoles et les plus légères, si loin qu'elles aillent dans cette voie, pourvu qu'elles les amusent. Ce sera la seule condition. qu'ils poseront, mais ce sera une condition sine quá non.

Aussi cette époque, si littéraire extérieurement, a-t-elle été une des moins favorables aux lettres elle a rompu avec Shakspeare; elle a ignoré les deux magnifiques épopées de Milton et de Bunyan. On doit lui reprocher d'autres crimes littéraires: le mot n'est pas exagéré. Elle a condamné Dryden, un des génies les plus forts et les plus féconds qu'ait produits l'Angleterre, à user ses meilleures années de vigueur intellectuelle dans la fabrication hàtive d'œuvres pour lesquelles il savait qu'il n'était pas fait1; elle a forcé le puissant talent dra

1.

And Dryden, in immortal strain,

Had raised the Table Round again,

But that a ribald king and Court

Bade him toil on, to make them sport,
Demanded for their niggard pay,

Fit for their souls, a looser lay,

Licentious satire, song, and play;

The world defrauded of the high design,

Profaned the God-given strength, and marr'd the lofty line.

(Walter Scott, Marmion, Introduction to Canto first.)

matique d'Otway à gaspiller dans des compositions indignes de lui la plume qui pouvait écrire l'Orpheline et Venise sauvée ; de Shadwell, né avec de l'observation et de la verve comique, elle a fait, malgré lui, un écrivain de farces ridicules.

Lorsqu'une société se fait des lettres une idée aussi ravalée et aussi étroite, en quelle estime peut-elle tenir les lettrés? Elle ne peut naturellement voir en eux que des amuseurs, des baladins, de ces gens auxquels on s'intéresse dans la limite où ils amusent, mais dont, au delà de cette limite, on se soucie fort médiocrement. L'intérêt que la cour de Charles II leur témoigna fut en effet tout de surface, dépourvu de sympathie, égoïste. On les loua, il est vrai, mais par vanité, pour montrer qu'on avait du goût et s'attirer par là des éloges; on rechercha la société de quelques-uns, mais pour soi et non pour eux, parce que leur amitié était un diplôme d'esprit, pour leur demander certains services littéraires, pour être loué par eux, ou simplement parce qu'on trouvait en eux de joyeux compagnons. Quand on avait loué (ou critiqué) leurs ouvrages, quand on les avait invités à sa table, quand on avait ri de leurs bons mots, ou que, conformément aux usages du beau monde, on leur avait remis quelques guinées en échange de quelque

1.

2

There march'd the bard and blockhead side by side,
Who rhym'd for hire, and patroniz'd for pride.

(Pope, Dunciad, livre IV, v. 101.)

2. Quelquefois on ne leur donnait pas de guinées :
Sir, I've a Patron, you reply. 'Tis true,...
Why faith e'en try, Write, Flatter, Dedicate,
My Lord's, and his Forefathers Deeds relate :
Yet know he'll wisely strive ten thousand ways,
To shun a needy Poet's fulsom Praise;
Nay, to avoid thy Importunity,

Neglect his State, and condescend to be
A Poet, tho perhaps a worse than thee.
Thus from a Patron he becomes a Friend;
Forgetting to reward, learns to commend;
Receives your twelve long Months successless Toil,
And talks of Authors, Energy, and Stile;
Damns the dull Poems of the scribling Town,
Applauds your Writings, and repeats his own;
Whilst thou in Complaisance oblig'd, must sit
T'extol his Judgment, and admire his Wit;
And wrapt with his Essay on Poetry,
Swear Horace writ not half so strong as He,
But that we're partial to Antiquity...

(A Satyr upon the Poets... dans Poems on Affairs
of State, vol. II, p. 138 et suiv.)

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