Pendant que les tragédies, les comédies et les opéras combattaient ainsi les ennemis de la cour avec toutes les armes qui leur tombaient sous la main, les prologues et les épilogues faisaient la guerre d'escarmouches et reprenaient la lutte par le détail. Les moindres incidents, les menues actualités de la politique, étaient saisis par eux au passage. En 1681, Shaftesbury avait été accusé de trahison devant le Grand Jury; mais ce jury, nommé par les magistrats de la Cité, était composé de whigs; il refusa de le trouver coupable et rendit un verdict de Ignoramus: les prologues et les épilogues furent aussitôt remplis de pointes contre les Jurys Ignoramus1. Pour se venger de cet acquittement, le roi déclara la Cité déchue de ses privilèges et lui imposa de nouveaux sheriffs et un nouveau Lord Maire. Puis, mis en goùt, il entreprit une campagne contre les Chartes municipales de toutes les villes suspectes de tendances whigs; ce fut alors le tour des sheriffs à paraître sur la sellette3. Pendant l'agitation causée par le Bill d'exclusion, But what provok'd the Poet to this Fury, (Ravenscroft, The London Cuckolds, épilogue.) But, Friends, don't think that you shall longer Sham us, (Ravenscroft, Dame Dobson, épilogue.) And then in Ignoramus Holes they think, (Romulus and Hersilia, anonyme, prologue.) 2. Cooke, History of Party, I, p. 223 et suiv. Now I dare swear, some of you Whigsters say But, Noble Whigs, pray tet not those Fears start ye, For, if you 'l take my censure of the story, It is as harmless as e're came before ye, And writ before the times of Whig and Tory. (Romulus and Hersilia, anonyme, prologue. Le prologue écrit par Dryden pour la réunion des deux théâtres souhaite les poètes whigs et les sheriff's whigs soient pendus ensemble. » que Charles II avait jugé prudent d'envoyer son frère en Écosse dans une sorte d'exil diplomatique; il revint un instant à Londres, en 1680, pendant une prorogation du Parlement : le prologue de l'Orpheline d'Otway le salua au passage. Avant la fin de l'année, il était reparti, et l'épilogue du Royaliste rappelait aux spectateurs « le gentleman qui est en Écosse ». En 1682, il revenait définitivement à Londres; Dryden aussitôt faisait un prologue et Otway un épilogue pour chanter son retour 3; et Otway joignait à son épilogue une épître à la Duchesse. Vers le même temps une main inconnue mutilait à Guildhall le portrait du duc; Otway signalait dans l'épilogue de Venise sauvée le « coquin », la « vermine » qui avait osé défigurer cette image sacrée. En 1684, la Cour avait momentanément triomphé de ses ennemis; les prologues et les épilogues triomphèrent avec elle. En 1685, le duc d'York devint Jacques II; ils se mirent bien vite à célébrer les longues années de prospérité qu'il promettait à son peuple". La même 1. For who are these among you here that have 2. Voyez ma Bibliographie. 3. Voyez ma Bibliographie. 4. Œuvres, III, p. 368. 5. 6. (D'Urfey The Royalist, épilogue.) Now would you have me rail, swell, and look big, As spit-fire Bullies swagger, swear, and roar, Must we huff on when we're oppos'd by none? (Prologue intended for Valentinian [de Rochester], to be spoken by Mrs. Barrey.) Since the Whig-Tyde runs out, the Loyal flows. All you who lately here presum'd to bawl, Take warning from your Brethren at Guild-Hall; Her awful Seat, nor bears the Sword in vain. (Epilogue de The Atheist d'Otway, How greatly Heaven has our great Loss supplyed? Pendant que les tragédies, les comédies et les opéras combattaient ainsi les ennemis de la cour avec toutes les armes qui leur tombaient sous la main, les prologues et les épilogues faisaient la guerre d'escarmouches et reprenaient la lutte par le détail. Les moindres incidents, les menues actualités de la politique, étaient saisis par eux au passage. En 1681, Shaftesbury avait été accusé de trahison devant le Grand Jury; mais ce jury, nommé par les magistrats de la Cité, était composé de whigs; il refusa de le trouver coupable et rendit un verdict de Ignoramus: les prologues et les épilogues furent aussitôt remplis de pointes contre les Jurys Ignoramus'. Pour se venger de cet acquittement, le roi déclara la Cité déchue de ses privilèges et lui imposa de nouveaux sheriffs et un nouveau Lord Maire. Puis, mis en goùt, il entreprit une campagne contre les Chartes municipales de toutes les villes suspectes de tendances whigs; ce fut alors le tour des sheriffs à paraître sur la sellette3. Pendant l'agitation causée par le Bill d'exclusion, But what provok'd the Poet to this Fury, (Ravenscroft, The London Cuckolds, épiloguc.) But, Friends, don't think that you shall longer Sham us, (Ravenscroft, Dame Dobson, épilogue.) And then in Ignoramus Holes they think, (Romulus and Hersilia, anonyme, prologue.) 2. Cooke, History of Party, I, p. 223 et suiv. 3. Now I dare swear, some of you Whigsters say For, if you 'l take my censure of the story, It is as harmless as e're came before ye, And writ before the times of Whig and Tory. (Romulus and Hersilia, anonyme, prologue. Le prologue écrit par Dryden pour la réunion des deux théâtres souhaite que les poètes whigs et les sheriffs whigs soient pendus ensemble. » sources pour séduire ses spectateurs, que ses spectateurs étaient maintenant blasés, saturés, et qu'il ne trouvait plus de nouveautés à leur offrir. Ajoutez que les préoccupations politiques venaient lui faire une concurrence fatale, et qu'elles se mettaient trop souvent en travers pour que les auteurs fussent tentés d'écrire, et les directeurs disposés à monter à grands frais des œuvres en plusieurs actes que le public n'était pas toujours en humeur d'aller entendre, ou qu'il n'écoutait qu'avec une attention distraite. Ainsi, lorsque Albion et Albanius de Dryden, écrit en vers, présenté avec un luxe extraordinaire de musique, de décors et de costumes, parut sur la scène, on apprit à Londres que le duc de Monmouth venait de débarquer à Lyme Regis en prétendant. Le public se montra, comme cela se conçoit, plus occupé de cette invasion que des aventures des héros de Dryden, et l'œuvre nouvelle, sur laquelle le théâtre et le poète avaient fait grand fond, n'eut en tout que six représentations 2. Mais la raison capitale pour laquelle le théâtre passa au second plan, c'est qu'il ne pouvait être qu'un très médiocre instrument de polémique, et que la polémique prenait maintenant le haut du pavé. Les anciens puritains, qui formaient la portion la plus considérable du parti whig, n'allaient pas au théâtre; les pièces mêmes qui soutenaient leurs idées ne parvenaient pas à les y attirer. D'un côté, disait tristement Shadwell, nos papes et 1. And what can Players hope for, in these Days, The empty lead, that never thought before But on New fashions, or a fresh new Whore:... (Shadwell, The Woman-Captain, prologue.) Je ne puis pas aisément excuser l'impression de cette pièce à un moment si inopportun, lorsque le grand complot de la nation, comme une des vaches maigres de Pharaon, a dévoré ses collègues plus jeunes, les intrigues du théâtre. (Dryden, The Kind Keeper, dédicace.) 2. This being perform'd on a very Unlucky Day, being the Day the Duke of Monmouth, Landed in the West: The Nation being in a great Consternation, it was perform'd but Six times, which not answering half THE Charge they were at, Involv'd the Company very much in debt. (Downes, Roscius Anglicanus, p. 40.) Si l'on en croit la tradition, dit Malone, Vie de Dryden, p. 186, l'auditoire se retira en désordre à la sixième représentation, et la pièce ne fut plus jouée. nos moines déplaisent; et cependant, hélas ! la Cité n'est pas notre amie. La Cité ne nous aime pas, ni nous ni notre esprit; les bourgeois disent qu'au parterre leurs femmes apprennent à lancer des œillades, qu'elles s'habituent dans les loges à faire des avances, à répondre aux soupirs furtifs et aux regards provoquants 1. » On n'avait donc par le théâtre aucune prise sur la bourgeoisie whig, et, quoi qu'on fit, le seul bénéfice qu'on pût retirer de pièces politiques, c'était d'affermir dans leurs opinions des tories dès longtemps convaincus trop maigre résultat obtenu avec trop de peine. La lutte ne pouvait pas ainsi se soutenir utilement il fallait de toute nécessité trouver une autre arme avec laquelle on pùt aller chercher ces adversaires qui se dérobaient; il fallait les attaquer chez eux; surtout il fallait raisonner avec eux; il fallait avec eux et avec la foule flottante des incertains et des irrésolus, toujours si importante en politique, discuter chaque incident nouveau, chaque principe émis, chaque personnage en vue, choses que le théâtre ne peut guère faire en aucun temps que d'une façon incomplète, et auxquelles il est forcé de renoncer lorsque les auditeurs lui font défaut, particulièrement les auditeurs qu'il a à cœur de convaincre. Cette besogne de polémique et de discussion, c'est la presse aujourd'hui qui s'en charge. Or il n'y avait encore en Angleterre qu'un embryon de presse. Les premières publications connues qui aient quelque apparence de journaux ne remontaient pas à beaucoup plus de cinquante ans. A partir de 1619 on avait vu apparaître de modestes petites brochures, assez mal imprimées, qui se chargeaient de fournir aux gens curieux des nouvelles des pays étrangers'. Ces recueils de nou 1. Voy, page 57, note 1. 2. On a cité longtemps comme étant le premier journal anglais The English Mercurie, portant la date de 1588. Mais Mr. Watts, dans une lettre remarquable adressée à Antonio Panizzi, a péremptoirement établi que cet antique journal était un faux. Voyez ma Bibliographie, vo Watts. 3. Le catalogue des journaux anglais au British Museum commence à 1604. Mais avant 1619 je n'aperçois que des brochures relatives à des affaires d'État, des proclamations royales, publiées officiellement avec ces mentions: « Set forth by Authoritie »; « Commanded by his Maiestie to be published in Print », et généralement imprimées par l'imprimeur du roi. Ce sont des publications politiques, mais non pas des journaux. 4. Newes out of Holland: Concerning Barnevelt... LONDON: Printed by |